électro
Rencontre avec le djay grenoblois Kiko
Alone in the dark
La montagne, ça vous gagne. En tout cas dans le monde de l’électro. Ou disons plutôt que Grenoble est depuis longtemps un vivier de grands noms de la scène électronique française. Miss Kittin, The Hacker, Oxia et… Kiko. Ce dernier n’est certes pas le plus connu, mais tous les montagnards vous le diront, ce ne sont pas les sommets les plus imposants, qui révèlent les plus beaux paysages. Dans l’ombre de ces « montagnes », donc, Kiko suit son sentier, parfois un peu tortueux, et sort aujourd’hui du bois avec un deuxième album, « Slave Of My Mind ». De la house minimal ? De l’électro-clash ? De la new wave des temps modernes ? Un peu tout ça à la fois…
Kiko, c’est le nom d’une ville au Burkina Fasso. Celui, aussi, d’une race de chèvres en Nouvelle Zélande, d’une princesse du Japon, d’un dessinateur de BD, d’un joueur de foot, à l’Atletico Madrid. Mais dans le monde de l’électro, Kiko, c’est ce grenoblois pour qui tout a commencé en 1995 avec l’ouverture d’un magasin de disques, Ozone. C’est là que venaient se fournir les Miss Kittin, The Hacker et autres Oxia cités plus haut. Viennent les premières soirées. Naissance d’un label, qui portera le même nom que le magasin, Ozone. Puis en 1997, Kiko s’allie avec Oxia, pour tourner sous le nom de Phunky Data. Deux albums sortent, « Fashion Or Not » et « 38 ». Signature sur une grosse major, les lives s’enchaînent, Bercy, l’Arche de la Défense, toutes les plus grosses soirées de France, retransmises, pour certaines, sur M6. Trois ou quatre ans de live, à deux ou trois dates par semaine. Fatigue. Oxia s’oriente vers de la tekno pure à bases de percus, Kiko, lui, reste dans l’électro house. Premier single sous son nom, World Cup, en 1998. Tel un Zidane de la house c’est, pour lui aussi, le succès. Deuxième single, Monique. Carton. L’album suit, « Midnight Magic », en 2001. Puis vient « Love Emulator », sous le nom de Sinéma, en 2002, avec Stéphane Deschezeaux, dit Gino et un titre à succès, In My Eyes. Les présentations sont faites. Rencontre.
Kiko, ça faisait presque cinq ans que tu ne nous avais plus donné de nouvelles. Que s’est-il passé ?
J’ai continué à faire de la musique, mais j’ai un peu calmé le jeu sur les soirées. Non pas que j’en ai eu marre, mais je voulais plus me concentrer sur le travail en studio. Je n’ai fait quasiment que de la production. Fin 2006, j’ai envoyé quelques morceaux chez Pias. Ils ont adoré et ils m’ont demande de faire un album. Alors je me suis remis au travail.
Et pourquoi cette envie de studio ? Est-ce à dire qu’un djay, arrivé à un certain âge, à plutôt envie de s’exprimer sur album, que sur le dance-floor ?
C’est clair ! On s’assagit, je pense, avec l’âge. Et puis on a plus de vécu aussi, alors on a plus d’émotions à partager, plus de choses à dire, notre musique est plus aboutie. En tout cas, pour ma part, c’est venu naturellement. J’avais envie de produire des morceaux, de donner un peu de moi. Je me suis d’ailleurs amusé à compter, l’autre jour, je crois que j’ai sorti plus de 200 titres, ces quatre dernières années.
Le vécu, l’émotion, donner de soi, c’est ce qui caractérise « Slave Of My Mind », c’est un album très personnel ?
Tout à fait. J’ai eu une vie assez difficile ces dernières années, je le reconnais, j’ai perdu pas mal de proches. Donc logiquement j’ai mis plus d’émotion dans mes morceaux, j’ai essayé de faire passer et de faire ressentir plus de choses.
Comment tu t’y prends, pour transmettre des émotions ? En électro, on ne peut pas parler de chanson, il n’y a pas de textes ?
Tout passe par la manière de construire le morceau, en fait. C’est vrai qu’à première vue, l’électro a un côté festif, mais surtout l’électro minimale, à mon avis. Chez moi, la plupart des titres sont très mélodiques. Et là où il y a de la mélodie, il y a de l’émotion. Le langage n’est pas forcément universel, certains ne ressentiront rien, mais certaines personnes me disent, par contre, qu’ils ont senti quelque chose de particulier. Il y a des gens qui vont même jusqu’à dire que mes titres sont dark, un peu comme la new wave. Nous, avec The Hacker, on ne trouve pas ça sombre, on trouve ça juste joli.
« Slave Of My Mind ». Ce titre signifie-t-il que tu avais tellement de choses à exprimer, que tu es devenu, en composant, l’esclave de ton esprit ?
Bien-sûr. Et surtout, au lieu d’aller voir un psy, je suis allé en studio. C’est réellement de cette manière que ça s’est passé. J’ai ressenti le besoin de faire de la musique, composer m’a aidé à m’en sortir, véritablement. Je suis allé travailler mes morceaux tous les jours, j’ai tout mis ce que j’avais en moi, dedans. Cet album m’a aidé à m’exprimer, c’est une thérapie musicale.
L’album « Midnight Magic », en 2001, allait à contre-courant de ce qui se faisait à l’époque, avec des sons très italo-dance, très années 80, alors que tout le monde ne jurait que par les samples funky des années 70. Pourquoi ?
En fait, tu sais, Grenoble ce n’est pas loin de l’Italie, et quand j’étais ado, dans les années 80, on entendait énormément d’italo-disco, dans les discothèques. Et on adore ça, vraiment ! On en a beaucoup écouté et on en écoute toujours. Quand on se retrouve avec Oxia ou The Hacker, même entre nous, en soirées, on se joue Sabrina, Ken Laszlo, Valérie Dore ou Laura Branigan. Mais j’écoute encore aussi beaucoup de new wave, genre Depeche Mode ou Front 242. J’ai donc voulu rassembler tout ça dans un album et ça a donné « Midnight Magic ». Ensuite, avec le projet Sinéma, j’ai carrément voulu refaire de l’italo-disco des années 2000. Et c’est vrai qu’à l’époque, dépoussiérer les années 80 était assez mal vu. J’étais un peu en décalage. Si ces deux albums sortaient aujourd’hui, c’est clair qu’ils auraient plus de succès. Etonnamment, par contre, ce sont des albums qui sont devenus des références pour pas mal de monde. C’est hallucinant le nombre de gens qui m’en parlent aujourd’hui.
Tu aurais pu choisir la facilité en sortant un album dans cette lignée, aujourd’hui. Mais « Slave Of My Mind » sonne différent. Différent dans le son et dans la fabrication, aussi ?
Exactement. D’un point de vue technique, déjà. « Midnight Magic » je l’ai fait avec un Atari et des samplers. Il y a énormément de samples, mis bout à bout. « Slave Of My Mind », lui, a été produit uniquement sur ordinateur avec différents logiciels et j’ai tout créé de A à Z, il n’y a aucun sample. Et puis mes précédents albums ont plutôt été faits dans l’urgence, là j’ai pris le temps de travailler chaque morceau, un à un. Ce sera d’ailleurs un album sans doute plus difficile à jouer en live.
Justement, par rapport au live, tu prépares beaucoup de choses en amont pour te laisser plus de liberté en soirée, ou au contraire, tu t’appliques à tout rejouer pour plus d’authenticité ?
Avec « Slave Of My Mind », il y a certains morceaux que je ne peux pas faire du tout, parce que trop lents, ou trop chantés. Pour les autres, je ne veux pas tout refaire en live. Mais je ne prépare pas non plus trop de choses à l’avance, j’aime bien garder une part d’improvisation. Il faut pouvoir réagir en fonction du dance-floor.
crédit photo : © Audrey Laurent