Scène française
Interview Vincent Delerm
Interview Vincent Delerm
A l’occasion de la sortie de son nouvel album « Quinze chansons », dans les bacs depuis le 3 novembre 2008, découvrez l’interview de Vincent Delerm !
La tournée commence bientôt. En écrivant l’album, vous pensiez déjà à ce que seraient les chansons sur scène ?
La plupart du temps oui ! Ce n’est pas en termes d’albums mais de chansons ! Les unes après les autres, on se demande ce qu’elles vont donner. On sait que certaines vont y gagner d’autres y perdre. Celles qui vont y perdre ne seront pas dans le spectacle. Je ne suis pas fou. Sur l’album, on a une façon de chanter assez égale alors que parfois ça nécessite d’interpréter vraiment. Du coup, on a hâte d’aller jouer ces chansons sur scène.
Depuis toujours vous avez des chansons qui ne sont pas sur les disques et qu’on n’entend que sur scène. Il y aura encore des inédites cette fois ci ?
Oui, j’aime bien faire ça car ce sont des moments d’écoute très différents. Quand j’ai commencé sur mon premier album, on m’a fait faire une vraie tournée avec des titres que les gens avaient identifiés et la moitié que les gens découvraient. C’était à chaque fois deux moments complètement différents. Il y a une écoute totale quand les gens découvrent les paroles. Et même si ce n’est que pour une ou deux chansons, j’ai toujours envie qu’il y ait quelques petits moments comme ça. C’est un moment où tout le monde est relié au texte. C’est assez excitant à faire, donc c’est encore le cas cette fois ci.
On dit toujours « Delerm sur scène c’est super drôle ». Vous avez encore une fois des petits intermèdes, des effets de mise en scène ou c’est très sobre ?
Non. Je n’ai pas forcément la volonté que ça soit drôle tout le temps mais je veux qu’il se passe des choses, ça c’est sûr. Ça vient de l’époque où j’étais piano-voix. Je me disais que je ne pouvais pas débarquer tout seul avec mon piano et qu’il ne se passe rien. Je me disais que le jour où j’aurais des musiciens, je pourrais arrêter de trouver des idées. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Quand j’ai eu des musiciens, je me suis dit qu’il fallait qu’il y ait encore plus d’idées. C’est encore le cas. Ça vient d’une peur. J’ai vu des chanteurs sur une même tournée, à deux ou trois mois d’écart, faire semblant d’improviser une blague qui était en fait la même au mois de mars et au mois de juin. Je me suis dit qu’il fallait faire un spectacle très écrit, ne pas donner l’impression qu’on est dans l’improvisation. Et à partir de ce truc très écrit, insérer des moments, des intermèdes. Quand on a un truc très écrit à faire, il se trouve qu’on est beaucoup plus disponible pour les choses qui se passent, un problème technique ou une réaction du public. J’aime bien cette dynamique là.
Vous serez avec quels musiciens, il y aura quel groupe sur scène ?
Dans ma précédente tournée, on était six, ce qui était énorme pour moi puisqu’avant j’étais tout seul. Là on est trois. J’ai pris ma calculette et j’ai fait la moyenne de tout ça. Je serais avec Ibrahim Maalouf, trompettiste de renom maintenant. Il a sorti son album solo et il tourne aussi sous son nom. Ibrahim est un trompettiste très particulier puisque son père était trompettiste et il a inventé la trompette quart de ton pour pouvoir jouer de la musique orientale. Il n’y avait pas de quart de ton sur la trompette mais beaucoup de quarts de ton dans la musique orientale. Dans mon concert, il n’y a pas une tendance orientale très forte mais je suis quand même heureux qu’il soit avec moi. Et Nicolas Mathuriau est mon batteur. Il joue aussi du piano, comme Ibrahim. En n’étant que trois, on peut ainsi tourner sur différents instruments.
Dans les médias, on vous a fait une image de chanteur bobo, de chanteur unpeu parisien. Vous avez l’impression d’être l’incarnation d’un certain « chic parisien » ?
C’est difficile à dire. Les artistes se plaignent souvent des étiquettes. Je pense qu’on les crée de toutes pièces et qu’il faut les assumer. J’ai fait un album sur un Paris fantasmé, je n’étais pas parisien à l’époque. Finalement, je véhiculais beaucoup cette image là. Même la pochette du disque était très art et essai. Pour cet album là, j’assume très bien le côté parisien, peut être un peu nouvelle vague. Après j’ai fait autre chose mais il se trouve que le premier album a été le plus médiatisé. Il est donc assez logique qu’il y ait cette idée là. En même temps, les gens qui me suivent depuis le début savent que ce n’est pas que ça. Mais je ne m’en défends pas plus que ça. Ça fait partie de moi. J’ai l’impression d’être un peu autre chose mais je suis aussi un peu ça, un peu bobo.
Dans l’inspiration de cet album, il y a pas mal de chansons qui se passent aux Etats-Unis, sur des personnages américains. Vous faites une chanson sur un photographe anglo-saxon Martin Parr. D’où vient ce tropisme anglo-saxon soudain ?
C’est une banalité de dire ça, les chanteurs le disent souvent. La dernière production qu’on sort est souvent le fruit des six derniers mois passés ou de l’année passée. Là c’était une année où j’étais beaucoup dans des livres de photos américains, des photos new-yorkaises, dans cette littérature là. Je me suis un peu immergé là-dedans, sans me dire « je vais là-dedans parce que je veux faire un album comme ça ». Mais malgré moi, c’est ressorti au moment de faire les chansons. C’était un moment de ma vie un peu de ce côté-là.
Vous avez beaucoup de chansons à la première personne mais cette première personne n’est pas vous, c’est le personnage. Il y a-t-il des chansons qui sont vraiment à la première personne, Vincent Delerm qui parle de lui et qui raconte sa vie ?
J’ai le sentiment que sur chaque album, il y en a une. Sur mon premier album, c’était « L’heure du thé », qui parle de quelqu’un qui passe la nuit avec une fille et qui repart le matin habillé de chez elle comme la veille. Ce sont souvent des chansons d’amour, il faut le reconnaitre. Ce sont des chansons dans lesquelles on manie un peu moins l’ironie. Quitte à faire une chanson d’amour, autant parler de soi. « Déjà toi », sur l’album précédent, était aussi au premier degré. Ce sont des chansons qui sont toujours un peu plus intimidantes. J’avais eu beaucoup de mal à chanter « L’heure du thé » devant mes parents. Quand j’ai commencé, pourtant ce n’est pas hyper sexe, il y avait un truc très intime et ça m’intimidait de la chanter.
Tout le monde a remarqué sur cet album « Un temps pour tout », une chanson avec le featuring le plus chic de France puisque les cinq derniers mots sont chantés par Alain Souchon. Comment se fait-il qu’Alain Souchon soit venu pour chanter si peu sur une chanson ? Ça s’est passé comment ?
En fait, avec Alain, c’est venu dès le début. Je lui ai écrit une lettre un jour en lui disant que finalement, je dis souvent qu’il est un père spirituel donc je me sens un peu comme son fils spirituel. Je lui ai demandé si ça le dérangeait. Il m’avait répondu très gentiment, après il est venu voir un spectacle. On est devenu assez proche. Quand j’ai enregistré mon dernier album, il était dans un autre studio au même endroit, il a passé une tête pour venir écouter et j’en ai profité pour lui demander de glisser juste une phrase, comme une signature. C’est une chanson qui parle d’être en voiture, à côté d’une fille, une problématique très « souchonienne ». J’aimais bien l’idée qu’à chanter un truc comme ça on devienne à la fin Alain Souchon.
Vous avez cette réputation de ne pas être un chanteur très mélodiste. On dit souvent que les mélodies de Delerm se ressemblent toujours. Vous trouvez ça injuste ?
Je ne sais pas trop. Il y a plusieurs niveaux d’existence. Il y a les gens qui vous ont vu juste une fois à la télé, d’autres qui vous ont vu un peu plus souvent, qui vous aime bien mais qui ne vont quand même pas acheter l’album ou venir au concert. Il y a ceux qui viennent au concert sans être fans et ceux qui sont vraiment à fond. Bref, je crois que selon ces catégories, les gens ne perçoivent pas la même chose de vous. Il y a des gens d’une catégorie qui pourraient dire que c’est tout le temps pareil. D’autres qui se rendent compte qu’au niveau des arrangements et des mélodies, même s’il y a évidemment des parentés, c’est différent. Moi forcément, lorsque j’écris une chanson, j’éprouve le besoin de penser que la mélodie est différente de la précédente, pour avoir envie d’aller au bout. Mais je crois que ça vient aussi de ma façon de chanter très linéaire, qui donne cette impression. Comme c’est un peu un chanté-parlé, c’est vrai que je demande beaucoup aux instruments de faire le boulot que ma voix ne fait pas.
De la même manière, les chansons sur votre dernier album sont de formes, de longueurs, de structures extrêmement variées. Il y a une part d’exercice de style, de faire des chansons courtes, des chansons longues, des chansons avec des angles de vue très différents ?
Ça rejoint un peu ce qui se passe quand on écrit un spectacle. On se dit qu’il va falloir que ça soit marrant à faire sur scène, pour ne pas s’ennuyer. Quand on est chez soi à écrire une chanson, on se dit qu’il faut trouver un angle d’attaque qui oblige à écrire d’une telle manière, avec tel registre de mot, tel type de narration… La chanson qui ouvre mon dernier album est une chanson avec des rebonds entre deux époques. On revient en arrière et on repart. Ce sont des choses qui sont excitantes à faire. En plus, c’est ce qui a justifié le titre de l’album. On se dit « Tiens, je vais faire le malin, je vais faire des chansons plus courtes, une minute, puis une qui fait ça… ». A l’arrivée, on a quand même quinze chansons. C’est le truc dont je me suis rendu compte en finissant l’album. En le faisant, j’avais l’impression d’avoir beaucoup essayé de déconstruire tout ça. A la fin, j’ai une vraie tendresse pour le format classique, trois couplets, trois refrains. Même quand on essaie de s’en éloigner, on se rend toujours compte que c’est tellement évident qu’on essaie de s’en éloigner que c’est la preuve absolue que le format 3-3 est celui qu’il faut.
Est-ce que vous faites très attention aux critiques qui vous sont faites, et si oui de quelle manière ? Est-ce que vous en tenez compte ? Est-ce que dans l’album d’après, vous voyez dans votre travail une trace ou une cicatrice de ce qui a été dit sur vous ?
Il y a des phases de la vie assez différentes là dessus. A un moment donné dans mon parcours je me suis posé cette question. C’était après mon deuxième disque, « Kensington Square ». Ça avait été un peu compliqué. Il y a eu peu d’articles négatifs mais ceux qui étaient négatifs étaient très négatifs et assez violents. Pour calmer le jeu, je me suis posé des questions sur l’album qui a suivi, « Les piqures d’araignées ». C’est un album qui a tenu compte des critiques. Il y avait moins de noms propres, j’avais presque un sourire sur la pochette parce qu’on me disait que je faisais tout le temps la gueule. C’est un album que je ne regrette pas du tout. Quand on tient compte des critiques, il ne faut surtout pas perdre le fil de ce qu’on a vraiment à dire. En même temps, on se dit parfois « Je veux écrire ça profondément, et c’est à cause de petits trucs périphériques que le truc ne passe pas ». C’était l’occasion de faire attention à ça. Ça m’a permis, pour le dernier album, de faire quelque chose sans tenir compte du tout des critiques.
Vous pratiquez beaucoup le name-dropping. Qu’est-ce que ça fait à son tour d’être name-droppé ? Vous vous voyez dans les chansons des autres, chez Renault ou Magyd Cherfi entre autre.
La première fois que ça m’est arrivé c’était dans une chanson de Jérémie Kisling. J’étais très fier, en plus j’étais accouplé avec Souchon dans cette chanson. C’était la fête. Au-delà de ça, j’ai toujours eu un goût pour ce truc la. Renaud a fait une chanson « Ma chanson ne leur a pas plu », où il faisait le tour des différents chanteurs en essayant de leur refourguer une chanson. C’est toujours assez marrant d’entendre le nom d’un chanteur dans la chanson d’un autre chanteur. En l’occurrence, Renaud est quand même un truc important pour moi. Il m’avait prévenu avant, en me disant « Je fais une chanson sur les bobos, il ne faut pas que tu le prennes mal parce que c’est positif ». C’était assez mignon et il m’en avait parlé avant. Celle de Magyd Cherfi était un peu moins sympa. Il disait qu’il ne voulait surtout pas faire du Delerm ou du Bénabar. Donc je préférais quand même largement la chanson de Jérémie Kisling.
Vous avez commencé avec des concerts piano-voix. Vous pensez qu’un jour vous reviendrez au piano-voix ?
C’est sûr que j’y reviendrai. On ne peut pas tout avoir. Quand on a des musiciens, qu’on est six sur scène, il y a quelque chose de dix fois mieux que le piano-voix, ça envoie vraiment. Mais on perd quelque chose. On gagne et on perd. Mais les gens sont souvent épatés par le piano-voix alors que c’est le plus facile à faire. On est tout seul, on accélère quand on veut…C’est beaucoup plus facile à gérer qu’un concert avec des musiciens. Ça c’est bien. En termes d’écoute, on peut choisir le rythme, décélérer en cours de chanson. Ça n’a pas d’égal. Avec des musiciens, on ne peut pas ralentir sans les avoir prévenus. Tout est plus organisé quand on a des musiciens. Ce qui me va aussi parce que j’aime bien cette idée d’écriture, écrire un spectacle avec des déplacements. Par exemple, c’est quelque chose qu’on ne peut pas faire avec un piano-voix, se mettre ailleurs qu’au piano et chanter, ça ne ressemblerait plus à rien.