Scène française
Sinsemilia Interview
Interview
Après le succès considérable rencontré par Tout le bonheur du monde, Sinsemilia poursuit sa belle aventure humaine commencée il y a presque vingt ans avec un nouvel album intitulé « En quête de sens ». Pour l’occasion découvrez l’interview du groupe représenté par deux de ses membres, Riké et Mike.
« Debout les yeux ouverts » est un grand succès, qu’il a peut être fallu digérer. Qu’est-ce que qui a sonné le rassemblement pour Sinsemilia ?
Après « Debout les yeux ouverts », il y a eu une longue tournée, deux ans, plus de 120 concerts. On était quelques uns à vouloir se poser après cette grande tournée, à ne pas vouloir enchainer tout de suite. D’autres ont enchainé tout de suite. Riké sort son album solo. Il a repris la route directement. On s’était donné une petite année sans concert, pour se poser. On s’est dit « On se voit dans un an ». On s’est retrouvé comme prévu dans le local, un an après, en espérant que cette année ferait renaitre une vraie envie. Un an de pause c’est bien, mais qu’est-ce qu’on a envie d’abréger la pause !
C’est l’actualité qui a conduit un peu l’orientation et l’écriture des textes ?
Ça a toujours était un peu le cas. Elle ne conduit pas l’écriture mais je m’inspire de choses qu’on vit, qu’on voit. Je ne fais pas de grandes théories, je m’inspire du quotidien. Il a suffisamment de choses fortes aujourd’hui dans l’actualité pour que les citoyens que nous sommes ne passent pas à côté. On est obligé de se sentir concernés. Après, ce n’est pas un album qui ne parle que de l’actualité. Ça serait lassant je pense. Mais évidemment que ça nous inspire.
Il y a dans cet album comme une façon de renforcer l’état d’esprit dans lequel vous faites les choses. Il y a un titre en particulier dans lequel vous dites « On fait comme on le sent ».
C’est un trait important de cet album. On fait de la musique depuis 20 ans. On en est à notre cinquième ou sixième album. Le seul moteur que je veux bien écouter c’est le plaisir. C’est le seul moteur qui doit avoir sa place dans notre aventure aujourd’hui. On fait les choses comme on l’entend, comme elles nous plaisent. On a réglé tous nos problèmes d’égo et tous nos problèmes de confiance. On n’a jamais eu de problème d’égo entre nous mais c’est par rapport à l’extérieur. On n’a rien à prouver à un quelconque public, ni aux médias. On ne ressent pas ce besoin de prouver et on n’a pas de barrière à se mettre. On fait les choses par plaisir, naturellement. C’est le moteur de cet album. On a apaisé beaucoup de choses et ça permet de poser les choses différemment.
Vos liens sont très forts. Ça fait longtemps que tout le monde se connait. On sent qu’il y a une bulle Sinsemilia, et n’entre pas qui veut.
Il y a une bulle mais on n’est pas des sauvages. Je connais Riké depuis le CM2. On se connait tous par coeur. Donc c’est difficile pour quelqu’un qui arrive de l’extérieur de se faire une place. De la même façon, on est toujours resté à Grenoble. On n’est pas parti faire notre vie à Paris, on ne va pas dans les soirées… C’est ce qui fait que ce groupe existe depuis 20 ans. On s’est préservé de tout ça. Certes on fait de la musique mais dans la journée on a les mêmes amis qu’avant. N’entre pas qui veut parce qu’il faut encore réussir à entrer. Laurent Guéneau a fait l’unanimité en trois jours. On est bien dans notre bulle. Et en même temps, on est onze. C’est pour ça que c’est compliqué. On n’est pas un groupe de trois personnes, ou deux chanteurs. C’est une équipe. Quand tu entres dedans, tu fais face à onze personnes, toutes différentes les unes des autres. Ce n’est pas évident mais la porte n’est pas fermée. On n’est pas des sauvages.
Après toutes ces années, est-ce qu’il y a encore des moments où vous arrivez à vous surprendre musicalement ?
Moi j’ai été surpris sur cet album. Et c’est la première fois depuis « Résistances » qu’on se surprend. L’identité de Sinsemilia au moment de « Résistances » était étonnante. Je trouve que depuis, ce qu’on fait n’est pas très surprenant. J’aime beaucoup ce qu’on fait mais ce n’est pas surprenant. Sur ce nouvel album, il y a des choses surprenantes. Sur certains morceaux, Laurent Guéneau, Natty ou Carine, m’ont poussé à prendre une voix très grave, ce que je n’avais jamais fait. Ça a surpris à l’écoute. Dans nos choix d’arrangements, on a opté pour des choses très reggae.
En même temps dans l’écriture, il y a un vrai retour sur soi même. Il y a la retraite du Silence, on prend un peu de recul et après on affronte la réalité ?
Oui. Le morceau dont tu parles « Le Silence » et un morceau assez personnel à la base. Dans le texte, je m’éloigne des gens. C’est une notion qu’on peut tous comprendre dans ce groupe. Mais même si je me suis un peu éloigné des gens à un moment, je ne suis pas allé sur la lune. C’est une retraite momentanée. C’est se nourrir du silence pour pouvoir de nouveau affronter la réalité de ce qui se passe autour de nous…
Il y a un côté un peu désabusé dans les paroles, dans le sens où l’idéal n’existe pas.
C’est un peu trop triste « désabusé ». C’est un trait de caractère qui s’est déjà exprimé au fil des albums. Oui, l’idéal n’existe pas, je ne vais pas chanter l’inverse. Mais ça ne veut pas dire que tout est pourri. On fait ce qu’on veut avec ce qu’on a. C’est déjà bien.
Il y a comme une progression dans le choix des titres. Ça commence très fort avec J’ai honte. Il y a une espèce de cri d’urgence ?
Je ne dirais pas que c’est un cri d’urgence. On aurait pu faire 25 morceaux sur des faits de société actuels. On n’est pas là pour ça, on ne va pas faire des dissertations. On a regroupé tout ça dans un titre. Voilà la France telle que je la vois aujourd’hui. J’aime ce pays, j’y suis né. Mais quand on voit ce qu’il devient… Le sentiment premier est la honte et la colère. Je pense que c’est ce qu’on entend dans ce titre là. Tu ne m’entendras pas dire que je n’aime pas ce pays. C’est un pays qui a fait de belles choses, qui est capable de belles choses, il y a beaucoup de gens biens dans ce pays. Mais quand je regarde comment il est dirigé et ce qu’il devient… j’ai honte. J’ai honte d’être associé à une certaine politique, à un état policier. Aujourd’hui, il n’y a pas de quoi être fier quand on est Français à l’étranger.
Il y a une chanson sur le militantisme. Je ne suis pas militant, Je ne suis pas légitime. Pourtant, Sinsemilia est un groupe engagé !
On fait des chansons engagées, on va voter. Après, c’est bien d’ouvrir sa gueule mais comme on le dit sur scène, une chanson ne va pas sauver grand-chose. C’est assez limite. Les actes font le changement. On a souvent eu cette étiquette de groupe militant et engagé. Ça me gêne par rapport aux vrais militants. Le mec qui tous les soirs va donner de la soupe aux mecs qui ne mangent pas. Lui se demande qui sont ces guignols sur scène. Groupe militant… je n’ai jamais demandé cette étiquette. On dit des choses mais on ce n’est pas ça le militantisme. On gagne notre vie avec nos chansons. On ne prend pas de risques. Il y a des mecs qui se font casser la gueule par des CRS. Moi je n’y suis pas ce jour là. Je me fais applaudir à la fin de mon concert. On peut dire des choses dans une chanson. Certains nous disent que ça leur donne de la force, de la réflexion, de l’énergie. Très bien. Je ne dis pas que ça ne sert à rien. Mais être militant, c’est des actes, du concret. On n’est pas légitime avec cette étiquette.
Il y a des mises au point dans cet album. On dirait que le discours est de plus en plus précis. Il y avait comme un flux tendu pendant quelques années et là c’est de plus en plus précis.
Malheureusement, on n’a plus 20 ans. On est devenu adulte. Il y a une progression dans ce qu’on veut dire et dans la manière de le dire. Je me suis fait avoir en n’étant pas assez précis. Il y a 15 ans, je faisais un morceau sur l’herbe et disant qu’il y a un décalage entre le nombre de consommateur et la loi. Tout le monde m’a dit que je faisais un morceau pour dire qu’il faut fumer. Non ! Je me suis fait avoir dans le passé en n’étant pas assez précis. Mais je ne me ferais plus avoir. Si on a la prétention de vouloir exprimer des choses, on ne doit pas se cacher derrière de grands slogans. On a envie d’être compris pour ce qu’on est. C’est pareil pour l’étiquette du militant. Je n’ai jamais demandé cette étiquette. On nous la colle mais je n’en veux pas. C’est pareil pour le reggae. On nous dit qu’on se pose en tant que représentant du reggae français. On n’a jamais dit ça. On a envie d’être précis. On veut bien ne pas être aimé pour ce qu’on est, mais on ne veut pas ne pas être aimés pour ce qu’on n’est pas et ce qu’on ne dit pas. Ça nécessite d’être précis dans ce qu’on exprime dans le texte.
A notre niveau, on dit ce qu’on pense. Il n’est pas là pour écrire ce qu’ils veulent entendre. C’est déjà ça.
Sur cet album, il y a des chansons qui se répondent à 16 ans d’intervalle.
Oui, avec Little Child. Il y a un an, on est retourné ensemble en Afrique. Ça faisait 15 ans. D’autres y étaient retournés dans le groupe. Chid travaille souvent dans le studio de Tiken Jah au Mali. On s’est fait un voyage tous les deux l’an dernier. On est allé aux mêmes endroits, au Sénégal. Ça nous a donné envie de faire la suite de « Little Child », un morceau de « Première récolte ». Ça parle d’un enfant de cinq ans. On écrit la suite 15 ans plus tard on se demandant ce qu’on devenu cet enfant. C’est un clin d’oeil agréable. C’est un bon souvenir
On se pose aussi la question « Que sommes-nous devenus ? ».
On ne s’est pas posé cette question sur ce morceau. On se la pose dans notre tête, et dans d’autres morceaux. Mais si on n’avait pas été au Sénégal, il n’y aurait pas eu « Little Child 2 ». La suite écrite au même endroit quinze ans plus tard, c’est classe. C’est venu là bas. Quand il a commencé à m’en parler, j’ai trouvé ça classe. Je suis content que le morceau soit là. C’est la suite de « Première récolte ».
Quand vous voyez votre parcours, la reconnaissance que vous avez eu grâce à la scène a construit l’histoire de Sinsemilia. Est-ce que vous avez l’impression que ça serait possible aujourd’hui ?
Si tout démarrait aujourd’hui, je ne pense pas. Ça a beaucoup changé. Pendant que Riké était en tournée, je faisais de la production avec mon label. C’est vraiment une autre époque. Aujourd’hui pour un groupe comme on l’était, de Grenoble, qui fait du reggae alors que ce n’est pas du tout la mode, mauvais musiciens et dix sur scène… Je ne vois pas comment on le développe aujourd’hui comme on l’a fait nous. Avec le téléchargement, l’abondance de disques… Quand on a autoproduit « Première récolte », c’était un évènement dans le milieu reggae français. On était très peu. Aujourd’hui je reçois cinq albums de groupes de reggae français par mois. C’est une autre époque. Elle est loin d’être facile. Je ne pense pas qu’on puisse reproduire le schéma tel qu’on l’a fait, par la scène et les tournées.
Tout ça va un peu dans le même sens. Il y a une mélancolie et un gros point d’interrogation concernant le dernier titre de l’album, « Le dernier concert ».
Non, il n’y a pas de sous-entendu. Tous les gens qui ont écouté l’album nous ont demandé si c’était la fin, si on se séparait. Non. Le morceau dit « quand s’éteindront les lumières ». Parce qu’un jour, Sinsemilia s’arrêtera. Soit parce que la vie en aura décidé ainsi, qu’il arrivera quelque chose de regrettable. Soit parce qu’on en ressentira le besoin. C’est le seul truc dont on est sûr. Un jour, Sinsemilia s’arrêtera. Ce n’est pas l’heure. On a le droit de se poser la question de ce qui va arriver pour chacun quand les lumières d’éteindront. Mais ce n’est pas pour demain. Quand je commence à écrire cette chanson, on est dans le bus en tournée. Il n’y a aucune raison que ça s’arrête. Je regarde cette ambiance qu’on adore. Une fin de concert alors que le bus roule, on est content du concert, on est dans le petit salon du bus avec les gens qu’on aime. Je regarde ça avec un mètre de recul et je me dis qu’un jour ça va s’arrêter. Qu’est-ce qu’on gardera alors ? Je l’ai écrite très rapidement. Ce sont des pensées dont on parle très peu mais qu’on a tous. C’est une énorme part de nos vies depuis 20 ans. Un jour ça va s’arrêter. Ça sera très spécial pour tout le monde. Mais ce n’est pas d’actualité, il n’y a pas de sens caché. Je pense que c’est bien d’être conscient que ça va s’arrêter. Je ne sais pas chez les autres comment ça fonctionne mais la première fois que je l’ai chantée, j’ai pleuré. On a souvent pleuré sur ce morceau. Ce texte m’apprend à profiter de tous les moments. Toutes les images qu’il raconte, ça va s’arrêter un jour.
En même temps, la recette n’est-elle pas dans un autre titre de l’album Prendre le temps. Est-ce ce qui a construit Sinsemilia ?
La première personne pour qui j’ai écrit ce morceau c’est moi. On dirait le mec qui donne des conseils mais c’est pour me rappeler de prendre le temps de vivre. Avec Sinsemilia, c’est une course qu’on adore mais une course qui dure depuis 20 ans. On vient de terminer l’album. On a deux mois pour préparer la tournée. On bosse la tournée comme un fou. Après on est dans un bus. On va essayer de prendre plus le temps par la suite. Comme Riké vient de le dire, prenez au moins le temps d’apprécier les choses à leur juste valeur. Il y a cette notion là. Prenons le temps d’avoir conscience de la chance qu’on a.
Est-ce que vous êtes capable aujourd’hui d’analyser le plaisir que vous prenez ensemble et pourquoi ? A quoi tient ce grand plaisir d’être ensemble ?
On est trop émotif… On est des fragiles. Il y avait beaucoup d’amitié avant le groupe. On avait 15 ans. 20 ans plus tard, ça a dépassé l’amitié.
En même temps, l’authenticité est un peu un combat quotidien pour essayer de lutter contre la pression extérieure. Vous avez cette sensation ?
Non, j’ai plus de mal à comprendre les gens qui changent à ce point là. Nous, on a changé en tant qu’êtres humains, c’est normal au fil des années. Mais ce n’est pas lié à la musique, à un éventuel succès. Je ne te dis pas qu’en 1998, quand ça n’a pas marché pendant un an, je n’avais pas le melon. Mais un melon relatif. Quand ça commence à bien marcher pour toi, si tu n’es pas trop con, tu redescends, tu relativises. On avait la chance d’être à Grenoble. Tu ne vas pas faire le fier devant un ami qui fait un boulot dur pour ramener un salaire rock&roll. Au bout de trois fois où tu te la joues, tu te dis que tu es ridicule. Ce n’est pas un combat. On est des gens normaux. On n’a pas plus de mérite à faire de la musique que le mec qui bosse à l’usine. On a plus de chance, ça c’est sûr. Mais on n’a pas plus de mérite qu’un autre. On a un magnifique métier mais ça ne fait pas de nous des gens mieux que le mec d’à côté qui va bosser.