Scène française
Interview Barbara Carlotti
Interview Barbara Carlotti
Avec « L’Idéal », Barbara Carlotti dévoile un autre profil, plus solaire, plus charmeur et joueur, sans rien abandonner de sa distinction naturelle.
Comment passe-t-on de la mélancolie du premier album à la gaité du deuxième album ?
J’avais un problème sur scène parce que je faisais les deux. J’étais gaie et j’avais des chansons mélancoliques. Ce n’était pas un problème du tout, au contraire. Sur le premier album, il y avait une forme de pudeur. Je voulais vraiment mettre ces chansons, plus affectives, sur le premier album. C’était mes petits objets, j’y allais à pas feutrés. Je suis quelqu’un de très timide en fait. Pour le deuxième, j’avais fait de la scène entre temps et j’ai commencé à m’amuser beaucoup sur scène. Sur scène, je faisais des chansons que j’avais déjà écrites mais qui étaient plus joyeuses, des chansons de plage plus légères. Sur scène, je conciliais les deux. Au bout d’un moment, les gens qui écoutaient mon premier album et qui le trouvaient assez doux, mélancolique, intimiste, réduisaient ce que j’étais à ça. Ça m’a un peu gêné. Je me suis dit que ce n’était pas moi, je ne me retrouvais pas dans cette image. Certes ça fait parti de moi mais je suis beaucoup plus joyeuse que ça et j’ai envie de l’exprimer, et du coup de donner de l’ampleur aux arrangements. Donc je me suis dit qu’il y a le spleen et l’idéal mais qu’ils font partie d’une même chose. J’ai conçu les deux disques un peu en miroir. Du coup, quand j’ai conçu « L’idéal », j’ai écrit une chanson qui sera le manifeste de ça, la chanson L’idéal. C’est l’idéal balnéaire, joyeux, l’ivresse des fêtes entre amis sur la plage, avec de la poésie et la musique… J’ai décliné plein de chansons sur ce thème là. Il y a la chanson sur mon village en Corse. Et d’autres chansons, plus douces et mélancoliques comme « La lettre » où j’ai invité Patrick Watson à faire les choeurs.
Est-ce qu’il y a une des chansons qui a donné l’impulsion aux autres ?
C’est L’idéal qui a donné l’impulsion aux autres. Mais Ici, la chanson sur la Corse, était déjà dans mes tiroirs ; je la faisais sur scène mais je n’avais pas terminé les arrangements. C’était l’occasion de prendre le temps de la faire jusqu’au bout.
On a l’impression que votre oeil s’allume tout à coup, que vous avez des images qui vous sont restées sur les conditions d’enregistrement ?
Oui j’ai vraiment le studio en tête. Pendant 15 jours, on a travaillé de 10h du matin à 3h du matin, c’était fabuleux. On arrivait, on se mettait à bosser, on se faisait à manger le midi, on discutait de ce qu’on allait faire l’après midi, les musiciens arrivaient. On se disait « et si on changeait un peu l’ambiance, et si là on accélérait un peu le tempo, et si on rajoutait ça… ». On changeait des choses au fur et à mesure. On avait beaucoup préparé en amont mais sur le vif de l’enregistrement, on a aussi beaucoup créé. J’ai appris beaucoup de choses sur cet album là. Le premier album, je l’ai fait avec un peu moins de moyen et une volonté de rester très proche des chansons telle qu’elles l’étaient à l’origine, comme je les avais faites avec les musiciens sur scène. Je n’avais pas vu ce que c’était que de faire un grand disque de studio, dans lequel on se dit « Tiens il nous faut un orchestre à corde, tiens on va ramener des cuivres, tiens Machin va venir nous faire une clarinette alors que ce n’est pas prévu. » On compose presque au moment où l’on enregistre. J’ai un peu tout ça en tête.
On a l’impression qu’il y a un soin particulier au niveau de la voix. C’est très important, c’est l’instrument principal. Quoiqu’il se passe autour, la voix reste vraiment le guide ?
En fait, l’ingénieur du son au studio me disait que ma voix est toujours au même endroit. J’ai une façon de chanter assez précise. Les choses évoluent autour et ma voix reste la même. Il y a un choix de sobriété pour dire les mots, une façon de faire assez simple pour moi. J’ai beaucoup travaillé le lyrique, le jazz. Un jour, je me suis rendue compte que je n’étais pas quelqu’un capable d’envoyer des décibels et de vibrer parce que ça ne me correspondait pas du tout. Ça me mettait mal à l’aise et ça ne me correspondait pas. Quand j’écris des chansons, je les écris pour les chanter mais c’est un chanter-parler, il y a quelque chose d’assez doux. Je peux être très excitée, joyeuse mais je ne crierais jamais ma voix à outrance. Je pense qu’on n’a pas besoin de ça. Je ne sais pas trop comment le dire.
C’est vrai qu’il y a une sorte de contenance, qui donne de l’élégance. Quand on parle de Barbara Carlotti, il a cette idée de l’élégance. C’est quelque chose que vous recherchez ?
Oui sans doute. J’ai du mal à avoir un recul sur ma manière d’être. Pour moi, ce n’est qu’une seule chose d’écrire, de composer et de chanter. Quand j’écris, j’entends les mots, je vois les images. Je ne me dis pas que je vais les chanter de telle manière. Ils viennent comme ça. Finalement, je ne calcule pas. Après, je travaille ma voix pour pouvoir monter plus dans les aigus, pouvoir faire des choses plus acrobatiques. C’est génial de pouvoir le faire, ça m’amuse beaucoup. Je pense que l’élégance est de ne jamais crier ses sentiments. Mais je pense que c’est la musique qui doit contenir les émotions et les sentiments. Finalement, la voix est un support assez constant. C’est moi qui chante quoi !
J’ai relevé plusieurs expressions vous concernant dans la presse. « Une des chanteuses les plus stylées », « une belle dame de la chanson », « une élégance frivole et racée », « indolente mélodie », « orchestration voluptueuse ». Laquelle de ces expressions vous touche le plus ?
J’aime bien « élégance frivole et racée ». J’aime cette idée de frivolité, de légèreté. J’attache évidemment beaucoup de soin à mes chansons mais elles sont aussi frivoles et légères. C’est ça qui me plait.
Vous dites dans « L’idéal », la première chanson de l’album qui lui donne son titre générique « l’idéal doit exister ». Quel serait par exemple un film idéal ?
C’est dur. Ça pourrait être, pour moi, un mélange d’un film de Truffaut et d’un film de Romaire et en même temps un film d’action à l’américaine.
Un fantasme idéal ?
Il ne peut pas se dire !
Un amour idéal ?
Un amour grand, sublime, passionné et en même temps éternel, mais ça n’existe pas. L’idéal doit exister mais il n’existe pas. C’est pour ça qu’on peut crier son nom et l’invoquer à toutes les sauces. L’important est de tendre vers l’idéal.
Justement, un instant idéal ?
Il y a plein d’instants idéaux dans la vie. Un moment d’un concert où il se passe un truc dingue. Cette magie entre les musiciens avec un moment de pure entente où la musique est très belle. Ça peut être dans la vie, avec un ami dans une fête, un pur sentiment de bonheur entaché par rien d’autre. Ça peut être plein de choses. Un bon repas…
Une chanson idéale ?
Il faut que je fasse le tri. Il y a plein de chansons qui me paraissent être idéales. Foule romaine de Jean Louis Murat est une chanson idéale. C’est une très belle chanson, la chanson vit. Il pleut, de Brigitte Fontaine, qui est une grande chanson. C’est presque un manifeste politique et en même temps une chanson légère, un peu décalé. On ne voit pas trop ce qu’elle veut dire mais en fait elle dit des choses très profondes. Une chanson de Barbara, même si c’est ma mère qui l’écoutait. Dis, quand reviendras-tu ? est une grande chanson idéale. En fait, ces chansons sont ce qu’elles veulent dite, elles sont immortelles. Il y aussi plein de chansons anglaises que j’aime beaucoup…Il y a beaucoup de chansons idéales, c’est pour ça que j’écris des chansons, pour trouver un jour la chanson idéale.