Scène française
Interview Marc Lavoine Part.2
Interiew Marc Lavoine
Marc Lavoine est de retour avec le dixième album de sa carrière baptisé tout naturellement « Volume 10 ». Zikeo.net est aller à la rencontre de cette icône indémodable de la chanson française.
On en est au volume 10. Qu’est-ce que tu retiens de ces 10 albums ?
On a l’impression que tu es de plus en plus sensible, perméable. Ça veut dire que tu deviens de plus en plus précis dans ce que tu veux dire ? Je pense que j’étais déjà comme ça. Mais l’expérience et la technique, à force de me mélanger aux talents des autres et d’écouter Françoise Hardy, de regarder Catherine Ringer, de téléphoner à Jean-Hugues Trintignant, de vivre avec eux, te donnent l’occasion d’être toi même, et d’avoir le courage d’être simplement qui tu es. Plus ça va, plus j’essaie de dire le moins possible, de faire les plus petites choses possibles. Comme disait Roda-Gil, « un tout petit maximum ». Essayer d’être le plus réuni. Ne pas faire un film, ou faire un disque car je ne suis pas une clé USB, mais être là matériellement. A l’époque où tout est virtuel, les gens et moi-même, qui suis le public, nous avons envie d’aller chercher un disque. J’ai envie d’être charmé, et non pas formaté. Il y a les maisons comme ça, les fromages, après il y aura la musique au kilomètre ! Non. Le film de Vincent Lindon n’est pas un film au kilomètre. C’est une histoire qu’on raconte, des gens qui sont là. C’est l’avantage de cette bousculade, cette grande orgie d’images et de faux besoins, de choses superficielles, qui rend les choses possibles. Les salles sont pleines, les spectacles vivants marchent. Le superflu s’évapore. On va restituer des choses plus vraies. On a flirté avec des choses dangereuses économiquement, le cynisme est en train de disparaitre. Je l’espère !
As-tu l’impression qu’à chaque fois que tu fais un album, cela te retranscrit, toi qui bois tout ce qui se passe, et que finalement dans tes chansons, il y a plus que ce que l’on peut deviner à la première lecture ? Tu aimes bien cette idée là ?
Je pense que je suis parmi d’autres, avec Etienne Daho, de nouveaux chanteurs et cinéastes, des anciens, des références culturelles, une perle dans un collier. Je participe peut-être à un rafraichissement du coeur, de la conscience. Je ne pense pas être un grand artiste. Je pense juste être gentil, vrai, je fais des chansons, et je les chante. Je suis réactif au monde qui m’entoure. Je sais que quand j’ai eu mon premier disque d’or avec mon album et le duo avec Christina, je me suis assis dans la rue de Paris, j’ai appelé ma femme, et je lui ai dit que je voudrais qu’on aille à la campagne. J’ai besoin, je n’en ai plus. César et Armand avaient raison, l’accumulation est devant moi. On compresse nos vies, des métros, des bus, de villes. Ce sont des villes où tu dois vivre debout, dès que tu t’allonges tu es « homeless ». Je ne peux plus vivre comme ça, ce n’est pas possible, j’ai besoin de créer une autre vie. Cette contreculture personnelle se retrouve dans un effet populaire. Avant, il était dévalorisant d’être paysan. A l’époque où Jean Ferrat chantait « La montagne », c’était dévalorisant. Aujourd’hui, c’est une valeur. Les valeurs ont changé de mains et de sens. J’aime l’édifice des principes et des valeurs. Je pense qu’il y a une vie possible à l’intérieur de ça. Je raconte des petites histoires d’amour, des histoires du quotidien, un mec qui raconte sa vie.
Tu te verrais, un peu comme Radiohead a pu le faire, sortir tes disques uniquement sur internet, en téléchargement sur marclavoine.com ? Tu te verrais gérer ça de manière plus indépendante ?
Non. Je travaille avec le même producteur depuis 27 ans, c’est un producteur indépendant. Je connais l’indépendance. Barclay ou Alain Baschung, ce sont des gens qui ont grandi dans des maisons qui ont pris des risques. Quand on fait Alain Baschung, Rita Mitsouko, Etienne Daho, Eden… On sait qu’on s’attache à des choses qui ne sont pas faciles ; les mecs qui ont fait du Dutronc, Gainsbourg à l’époque, ou Polnareff, ils savaient que ça n’allait pas plaire à tout le monde ! C’est là où ça a été formidable. Je pensais bêtement que ma maison de disques allait être réticente à l’idée de partir de la forme vinyle, ne pas faire de bonus track, ou un disque de 20 titres, avec des maquettes pour mettre sur Internet, pour « donner à manger ». Je ne suis pas là pour donner à manger. Ce n’est pas ça mon métier. Ils ont été d’accord avec ça. La souffrance qu’on a eue avec la dématérialisation de l’artiste, qui devient une clé USB, a provoqué un manque de respect sur le travail accompli. Cette fabrication de vedettes, qui n’ont même pas écrit une chanson, c’est une skizophrénie qui rend le métier hémiplégique. Ça l’a paralysé. Quand on cherche une solution, on tape parfois un peu partout et pas tout à fait là où il faut. Il faut revenir à des choses simples. Ecrire, faire de la musique, l’enregistrer et la jouer sur scène. Déjà faisons ça comme il faut. C’est une promesse. C’est mon 10ème disque, les gens ont toujours été là, même avec la crise, ils ont acheté beaucoup de disques, surtout les derniers. La tentation est facile, la boutique est ouverte et n’importe qui prend ce qu’il veut. Non, je ne pense pas que les gens pensent comme ça. Moi je respecte l’artiste. Si je vais dans son atelier et que je vois une photo qui me plait, je l’achète.
Dans cet album, il y a toujours cette recherche, des petites balises…
Dans toutes mes chansons il y a ça, un passeur, quelqu’un qui traverse une rivière, une symbolique, que ce soit une colline ou quelque chose de biblique, qui a un rapport avec ce qui nous dépasse. Parce que tout nous dépasse finalement. On a l’impression qu’on maintient la rampe mais c’est la rampe qui nous tient. On s’en aperçoit quand une femme accouche devant vos yeux. Tout part à vau-l’eau. Pendant quelques instants qui durent très longtemps, votre vie est accrochée à quelque chose qui nous dépasse totalement. L’amour me donne cette sensation. Quand je suis avec mon fils, je n’ai pas peur et en même temps j’ai peur. Je n’ai plus peur pour moi mais j’ai peur pour lui. Et ça, c’est fort. Dans toutes mes chansons, j’intègre des petites notions de choses qui me dépassent.
Deux participations dans cet album, deux invités dont Yasmine.
Oui, ma fille. Il faut ralentir un peu le temps qui passe. Je vais perdre sa voix. Elle va partir ailleurs, elle va devenir une voix de femme bientôt. Les gens qui partent ne laissent pas leur voix. Ça me manque ; la voix de mon père me manque, j’ai ses photos mais pas sa voix. La voix de ma fille, dont le corps est en train de changer, va partir. C’est une merveille de voir une fille devenir une jeune femme. Je voulais prendre cette voix et la garder avec moi dans un sillon. Comme elle ne veut pas faire de scène, ou se montrer à la télévision, faire un clip, ce n’est pas du tout son truc, mais qu’elle joue du piano… Quand elle joue « Imagine », j’ai des frissons. Elle fait l’école du cirque, elle va aux arts déco. Elle aime l’art. Quand on va à Londres, elle veut aller au musée. Mais elle veut aussi jouer, aller sur Internet, regarder une série pour adolescents et jeunes adultes. L’adolescence, c’est très jeune aujourd’hui. Mais si on va à Barcelone, elle veut aller voir le musée de Picasso. Elle reste longtemps devant les choses. Il y a des choses qu’elle aime et d’autres qu’elle n’aime pas. J’avais envie de garder cette voix. Ça restera un témoignage.
On partage quand même une certaine intimité ?
Oui, mais une intimité qui n’est pas une mise en scène « people ». Il y a l’info et le scoop, c’est une grosse différence. On a besoin de faire scooper l’info. L’info vous informe et le scoop vous émeut. L’émotion. J’ai rencontré un Masaï qui m’a dit « vous avez vu le tsunami ?». Je lui dis « Oui et vous ? ». Il me dit « Non, c’est une catastrophe naturelle. Vous, vous avez vu quoi ? ». Moi j’ai vu un homme devant une vague mille fois. A la fin, ça ne me faisait plus rien, vu que je l’avais déjà vu mille fois. L’indolence arrive par l’esthétique de la mort. C’est le scoop. Si aujourd’hui je commence à faire une image avec ma fille, je mets en scène ma vie privée et je tue ma chanson. Je ne peux pas faire ça. A l’époque où Gainsbourg a fait « Lemon incest », il n’y avait pas Internet. Maintenant si tu parles en off sur le blog d’un mec, on peut retrouver ce que tu as dit. Le secret doit rester secret. Si les secrets ne sont des secrets pour personne, ça ne sert à rien. Il n’y a plus de charme. Le charme, c’est la rareté des choses. Chanter avec une voix, ce n’est pas la même chose que de montrer le visage de celle qui chante.
Valérie Lemercier, un autre duo.
Elle est adulte, majeure et vaccinée ! Elle sait ce qu’elle fait. Je suis admiratif depuis très longtemps. Pour moi, avec Philippe Caubère, James Thiérée, ou Woody Allen, elle a une grâce littéraire. C’est une des rares comédiennes sur scène qui ne lâchent jamais. Entre deux sketchs, elle ne va pas faire « c’est Valérie ». Elle ne va pas décrocher pour faire rire, elle reste rigoureuse dans son personnage. Elle viendra vous saluer à la fin, mais pendant tout le spectacle, elle raconte une histoire. J’aime les gens qui racontent des histoires. Dans cette femme, il y a la légèreté, la pudeur, le bonheur, le sourire, et une part d’ombre, de gravité, comme chez ma fille d’ailleurs. Elles sont graves, et c’est ce qui me touche beaucoup. C’est le charme. Cette chanson a été enregistrée parce que Valérie a accepté de la chanter, sinon, je pense que l’album n’aurait eu que 10 chansons. Elle a donné à cette chanson une raison d’être. « La grande Amour » est presque devenu son deuxième prénom pour moi. Quand je pense à Valérie, je pense à « La grande Amour ». Il y a une certaine aristocratie, une beauté élégante, et ça féminise un mot « amour » masculin. Je trouvais ça bien de le faire avec elle. Quand elle a accepté, elle l’a fait avec humour ; elle m’a envoyé un texto comme si elle avait gagné un radio crochet, elle était très fière d’avoir décroché la timbale. C’était une façon de répondre sincère, pudique et drôle. Quand elle est venue la chanter, j’ai vu la vraie Valérie, celle qui peut douter, recommencer plusieurs fois, celle qui demande, qui est très proche de tous, de l’assistant, de la personne qu’elle va croiser dans le couloir… Elle est là. Comme le théâtre, un micro, c’est très réduit. Quand on est sur scène, on chante comme ça. En studio, on réduit le spectre du théâtre à une petite boite qui est devant vous, avec un filtre, et on doit chanter là. Elle a été d’une précision remarquable, et d’un grand laisser-aller. Il faut toujours du laisser-aller.
L’album se termine par une histoire de cul.
Oui, un hommage à l’art. C’est l’art le plus beau. J’ai l’habitude de photographier les fesses. Ici, on voit les trois grâces de Mayeul. J’étais fasciné par l’origine du monde quand mon frère est arrivé dans ma chambre avec un livre d’art et qu’il m’a montré « l’Origine du monde » de Courbet. Je suis resté des heures devant cette femme. J’ai toujours aimé les fesses des femmes de Courbet, ou de Rubens. André Masson a dessiné des femmes allongées qui devenaient des dunes, des pubis qui devenaient des gerbes d’herbes folles. Je trouve que la poésie, celle de Verlaine et de Rimbaud, de Brassens, la littérature, la photographie et la sculpture… J’aime bien faire des interviews au Louvre, la vie se ralentit dans une galerie. On s’assoit au niveau des fesses des filles de la galerie italienne, jusqu’à la Vénus de Milo, qui est d’un érotisme absolu. Et dès que ces sculptures commencent à marcher, ce ne sont plus des sculptures mais des filles ! C’est le centre de la terre, de nos désirs. Les rues qu’on emprunte sont toujours parfumées et délicieuses. J’avais envie d’écrire une chanson sur ce sujet.
Il y a des paraboles comme ça dans l’album, sur la sensualité…
Il le fallait. « Les dunes blanches » sont parties d’un truc simple, ce sont des petits choux, des chouquettes dans lesquelles on met de la chantilly. C’est Philippe Starck qui m’a fait découvrir ça. Il me fait toujours découvrir quelque chose. C’est lui qui m’a dit de chanter avec une Italienne, de faire des chansons en italien, et il a eu bien raison. J’ai découvert ça chez Philippe. Ma femme les connaissait, parce qu’elle va au café depuis qu’elle est née. On était en train de manger ces dunes blanches, j’étais avec Dominique Isserman, la photographe que j’adore. Je lui dis que j’ai une idée pour mon disque, et je lui demande si elle trouve que « La semaine prochaine » est un beau titre. Il me dit que c’est une super idée. J’ai commencé à écrire « La semaine prochaine ». Puis les dunes blanches sont arrivées sur la table, et elles étaient aussi autour de nous, puisque les dunes du Cap Ferret sont des endroits merveilleux. Je me souviens de la Vendée, des dunes de Californie et de Long Island, il y a une sorte d’érotisme dans les dunes. Le soleil fait une sorte de flou à l’horizon, il y a une chaleur, une moiteur, les ombres s’allongent, on s’allonge dans les ombres, on roule dans le sable. Il y a une sorte d’érotisme. Les branches qui deviennent nos bras, un ralenti, et une femme, en général. L’amour qui commence. Dans ces dunes blanches, on ne sait pas si on rêve ou si on est éveillé, si on est là ou ailleurs. C’est juste avant l’amour, c’est le désir, des choses qu’on voit passer. Burgalat a fait la musique sur le texte.
Quelle a été La première chanson que vous avez faites ensemble ?
c’était pour un film, et je lui ai envoyé tout le texte par texto. Il n’a pas bougé une virgule du texte, il a tout respecté, il a fait cette musique et l’a chanté. Puisque je lui ai donné les paroles, et qu’il a respecté toutes les césures et les rimes, j’ai respecté chacune de ses harmonies, j’ai chanté exactement à la virgule. Ça l’a étonné, il m’a demandé comment j’avais fait pour chanter exactement comme lui. Il a fallu en revanche déburgalatiser l’arrangement, qui est très marqué. C’est comme Julien. C’est comme chez Julien Clerc. Je suis arrivé chez lui, il y avait un piano dans une pièce blanche, je traverse le jardin des Tuileries pour aller chez lui à Saint Germain, je l’appelle, je lui demande comment ça se passe. Il me dit qu’il n’a rien pour enregistrer. Je lui demande comment on va faire pour faire une maquette. Il me répond qu’il ne sait pas, qu’il a une mélodie et un piano. J’achète donc un petit dictaphone, j’arrive chez lui avec mes phrases et mon dictaphone et il joue.
Quand il joue c’est comment ?
C’est Julien Clerc. Il ne s’inspire pas de quelque chose ; on ne se dit pas « ça ressemble au Beatles ou au Stones ». Peut être un peu à Nino Rota ou Léo Ferré, mais surtout à Julien Clerc. Il met sa voix dessus et après tu es dans la merde, parce qu’il a une mise en place, très « Julien Clerc ». C’est ce qui nous a réveillés, de la Bruyère, Berger et moi. On s’est dit qu’on n’allait pas faire écouter les maquettes aux musiciens, mais qu’on allait leur jouer la chanson au piano. Ça a permis de trouver un arrangement un peu cohérent avec la couleur de l’album. Je pense qu’il fallait « déjulienclerciser » la chanson. C’était difficile à faire, mais on a enregistré la chanson avec Julien, sur trois semaines, car il est très soucieux de s’assurer que tel mot est à telle place, le fait de répéter trois fois « je l’aimais tant »… Quand tu mets la voix sur le piano, ça devient une chanson de Julien Clerc. C’est immédiat. Ça a été difficile de se promotion et de décrocher de lui ; il fallait que je le fasse, parce que la chanson était pour moi ! Il fallait que ça devienne ma musique. Ça a été un boulot très intéressant, et une grande leçon d’humilité, de sérieux et de rigueur. Il me disait qu’il avait fait écouter la chanson à Bertrand, qu’il aimait beaucoup… Et comme la rue des acacias était la rue de mon enfance, ma première histoire d’amour, ma première chanson avec Julien, je n’avais pas envie de la foirer. Je suis beaucoup influencé par le cinéma. Quand on dit Jacques Demy, on trouve le truc. Je n’ai pas le talent de jouer, mais je parle de cinoche, je leur dis des choses. C’est comme le vinyle. Bob Dylan, Salmon Garfunkel, Françoise Hardy, tu ne te trompes pas quand tu achètes des vinyles, tu achètes tes classiques. On a fonctionné comme ça. J’écoutais les Stones, les Floyd, Cohen, Dylan, Barry White, des classiques. Finalement, le mec qui a fait le mastering de « Black and Blue » est celui qui a fait le mastering du dernier Tracy Chapman. C’est moderne le classique. Et il a aussi fait le mastering de mon disque. Comme quoi, même moi je peux avoir le même type pour masteriser mon disque que « Black and Blue » des Stones. La vie est belle.