Scène française
Brigitte Fontaine Prohibition
Nouvel album de Brigitte Fontaine Prohibition
Brigitte Fontaine attend dans un restaurant parisien. Sur une île. L’été a ouvert ses bras sans prévenir, le soleil brûle les touristes qui défilent derrière la vitre. Elle fume, à l’abri des rayons. Une cigarette. Puis une autre. Valse enfumée comme éternelle. Son plaisir. Sa liberté. Elle impose d’abord le silence. Regard qui scrute le fond de l’âme. Femme aérienne dans une société manipulée par la peur et l’interdiction. Elle est là pour raconter « Prohibition », son nouvel album, qui sortira le 5 octobre prochain.
« Prohibition », un mot comme figé dans le temps, projetant des images sépia de bars clandestins et d’alcool frelaté. De chapeaux souples et de gangsters dirigeant le monde depuis Chicago. Pourtant, ici, la nostalgie n’a pas son mot à dire. Brigitte Fontaine chante l’aujourd’hui, un présent qui s’écrit à coups de lois qui castrent, qui réduisent.
Ce disque, aux tonalités autant rock que subliminales, admirablement produit par le Gallois Ivor Guest (le producteur du dernier Grace Jones) depuis Londres et bien sûr composé par l’indispensable Areski Belkacem, honore la poésie, « cette fascination pour le charme violent des choses » et la lutte. Un disque indépendant, fier, fait de rage et de sourires en coin, d’ondulations lascives et de chair jamais résignée. De voyages immobiles et de Dieux dévorant leurs propres dogmes. De mots surtout. Tous imaginés par Brigitte Fontaine. Des mots qui frappent, qui font naître les rires, des désirs de barricades, les larmes parfois aussi. Des mots toujours au centre, qui alternent rugissements salvateurs et émotions intimes, visions vertigineuses et légèreté d’un quotidien transfiguré.
Cet album, plus viscéral, plus animal, plus rock que ses derniers enregistrements, Brigitte Fontaine le décrit ainsi : « C’est la prohibition, la rébellion, la révolte et parfois des sentiments émouvants… J’ai ressorti mes griffes. La politique, ça peut aller avec l’art et la poésie. Anar ? Oui, bien sûr. Oui, il y a probablement cette volonté-là dans mon album…J’ignore un peu mes volontés. Je ne connais pas très bien mes intentions. Ca vient comme ça. Je laisse sortir. Et après, je guide d’une main ferme et sûre… « . Elle sourit, avant d’ajouter : « C’est à la fois assez sensuel, presque charnel par moments, ludique et en même temps assez impeccable je crois. Impeccable dans l’ensemble. Le son, la prise de son… Tout. Je crois que tout cela, c’est riche. Mais ne venez pas me parler de chansons expérimentales, je refuse ce mot, il ne signifie rien pour moi. » Surtout, ne pas dire « morceaux, ce langage de boucher… ».
« Prohibition » est un album qui ouvre, toujours. N’importe quel individu encore capable de vivre plutôt que de survivre y trouvera son compte. Qu’elle chante les sans-papiers, la cigarette diabolisée, la magie et la mystique des Soufis, le suicide au gaz, l’amour ou l’horreur de l’enfermement, Brigitte Fontaine accueille, de sa voix unique d’enfant éternel, toutes les âmes. Plus hardcore, plus courageuse, plus habitée, plus joueuse que pas mal de ses contemporains créateurs, celle qui ose, avec hardiesse et bonheur, faire rimer Libellule et encule, sans jamais flirter avec la vulgarité (« Je suis grossière mais pas vulgaire. Je n’ai pas de penchant pour la vulgarité. Ciel ! C’est un alexandrin« ) se permet de balancer un disque vivant, carrément anglo-saxon dans sa forme, foutrement hanté par des guitares, des basses et des batteries jamais apprivoisées, toujours sur le fil, des mélodies, enfin, qui préfèrent, aux gimmicks faciles, les évasions qui élèvent.
« Prohibition » est un disque où l’on croise Grace Jones et Philippe Katerine, l’électricité reptilienne et les boucles hypnotiques, des déserts ardents et des angoisses millénaires, un humour formidable et une sensibilité totale. Un disque qui broie l’indifférence et où les chansons préfèrent, aux avions charters, ceux qui s’envolent avec champagne et orchidées. Elliot Ness a du souci à se faire…