Artiste
The Weeknd
La vérité sans fard, les songes moites, le talent insolent, Michael Jackson et les étoiles ne sont pas encore morts. Pendant que les grosses pointures oublient la musique pour ne se concentrer que sur les paillettes (Kanye West et tous les autres), un homme aux cheveux indomptés et à la voix taillée dans un cristal de Krypton s'apprête à conquérir le monde. Il s'appelle Abel Tesfaye, est né en 1990, au Canada. Ses parents ont quitté l'Éthiopie, sa violence et ses ombres. Quand il compose ses chansons racées, imparables, quand il entre en studio pour enregistrer et (ou) produire, quand il embrase les scènes mondiales et qu'il affole les classements et les compteurs, quand il collabore avec Drake, Ariana Grande ou Lady Gaga, Abel change d'identité. Il se mue en un artiste à la fierté non négociable, capable, en un refrain, d'éteindre toute concurrence, loyale ou pas et de dessiner le futur.
Ceux qui brassent large sans jamais se perdre sont rares. Il y a eu Coltrane, Bo Diddley, Clinton, Bambi donc, Prince, et quelques autres. Des mecs capables de fédérer la planète sans altérer leurs pulsions. Le désir plus fort que le calcul, toujours. Des mecs capables de déchirer le voile de l'anonymat et de la facilité sans prévenir et d'imposer leur vision. Parce que The Weeknd n'est pas qu'un simple chanteur de R'n'B, se contentant de charmer celles qui achètent encore des disques, non. Il est un sorcier urbain, une sirène redoutable, un génie qui refuse de rentrer dans sa lampe. R Kelly, au hasard, écrivait et interprétait des tubes prompts à humidifier l'atmosphère, The Weeknd, lui, impose une sensualité troublante, une force captivante et un style unique, croisement halluciné de R'nB, de hip hop et de rock, avec une modernité qui a de quoi déstabiliser même les plus exigeants, ceux revenus de tout. Quand il chante, les choses acceptent d'épouser un autre rythme, ses arrangements à la fois subtils et monstrueux dévorent les résistances, ses ambiances tantôt solaires tantôt ténébreuses édifient des constructions puissantes, personnelles, à tomber. The Weeknd détruit le cliché du chanteur lover, beau gosse mais un peu neuneu, sûr de sa virilité et peu désireux de se livrer. Lui puise dans ses tripes, il évoque des sujets parfois lourds, la drogue, le succès et ses chimères, la solitude des sommets (et des chambres d'hôtel, quand la dernière groupie a claqué la porte), la puissance inconsciente des origines, les fantômes de ce qui était avant que lui soit, la violence, qu'elle soit intime ou historique, il se raconte sans masque et c'est aussi cela qui donne à sa musique cette identité monumentale. Quand il chante (il utilise d'ailleurs parfois l'Amharique, la langue ancestrale éthiopienne), il convoque autant ses grands frères américains que ses ancêtres de l'autre côté de l'Atlantique. Et c'est aussi cela qui fait qu'aujourd'hui, The Weeknd est attendu autant en Occident qu'en Afrique. Son Rn'B est un blues hybride, aux larmes d'acier et au groove universel.
Sa légende, The Weeknd l'a construite comme un môme de son époque. Plutôt que d'attendre qu'on le repère, il a préféré balancer trois disques autoproduits sur la toile, « House Of Balloons », Thursday » et « Echoes Of Silence », sorte de mixtapes gonflées à la sueur et au talent, gratuitement. 2011. Donner, sans filet, donner et voir. Il n'a pas été déçu. La rumeur enfle rapidement, elle devient une certitude: ce mec est doué! Ses chansons explosent les réseaux, The Weeknd s'immisce dans la tête et le coeur des gens. L'authenticité ne triche pas, jamais. Résultat: Il regroupe ses trois premiers forfaits sous le titre « Trilogy », servi par une pochette sombre, parfaite, en 2012. La machine ne s'arrêtera plus. Elle ne s'arrête plus. Il sort « Kissland » et confirme. Le feu n'était pas de paille, The Weeknd est bien décidé à squatter aussi le lundi, le mardi, etc… Avec le titre « Earned It », le single de la bande originale du film « 50 Shades Of Grey », il enfonce le clou : 15,5 millions de streams et 50000 singles téléchargés ! Le film ne restera peut-être pas dans les mémoires, sa chanson, elle, sans le moindre doute. En attendant cet été « Chapter III », nouvel album annoncé par différents titres comme « The Hills », mélancolie à fleur de peau qui refuse de crever, aux claviers prophétiques, où The Weeknd démontre qu'il est possible de croiser les genres sans faire fausse route. On peut ici penser autant à Kate Bush qu'à Drake, son pote, l'un des premiers à avoir prévenu le monde que The Weeknd promettait beaucoup. Sur « Can't Feel My Face », premier single officiel, des mains claquent, des nappes synthétiques annoncent ce qui va suivre, c'est à dire une pop aérienne, imparable, un funk reptilien avec cette guitare qui insiste là où il faut, The Weeknd ressuscite cet esprit des années 80, quand un tube ne se discutait pas et blindait les pistes de danse. Avec « In The Night », The Weeknd balance un hit brûlé aux néons. C'est une boucle spatiale, presque psychédélique, une promesse de corps en fusion, la preuve qu'on peut, à à peine 25 piges, mettre tout le monde d'accord.
The Weeknd chante pour les jeunes et les autres, les branchés, les femmes, les hommes, les vivants et les morts, il dévoile une aisance qui doit dissimuler des blessures profondes et un travail intense. Il ne ressemble pas à ces excitations passagères, à ces coups marketing pénibles, non. Il incarne nos lendemains. Il arrive.