Scène française
Jean Louis Murat en interview
Jean Louis Murat en interview
Après « Charles & Léo », Jean Louis Murat revient avec un nouvel opus « Tristan » qui place l’artiste au coeur de la chanson d’amour française. Il sera seul sur scène à Paris et en province en octobre 2008. A cette occasion Zikeo.net a rencontré l’artiste avant sa tournée d’automne.
Oui. Je crois que c’est ma spécialité de chanteur français. Je chante l’amour. D’ailleurs, je réfléchis beaucoup à ce que je pourrais chanter d’autre. Mais je suis un enchanteur de sentiments amoureux. Tout du moins j’essaie. C’est ma spécialité.
C’est une spécialité ?
Oui. Plus largement, c’est la spécialité de la langue française, de la chanson française. 90% de la chanson française est de la chanson d’amour. Je ne sais pas dans les autres cultures mais je pense que ça doit être à peu près la même chose aussi. Ce qu’on chante essentiellement, ce que chantent les gens, c’est l’amour, le sentiment amoureux.
Quand on voit Tristan sur cet album, on pense inévitablement à Iseult. On rencontre la vie, inévitable entre individus, et les liens indéfectibles que cela procure entre humains.
Oui. En fait, les gens sont interchangeables. On est agité par des sentiments mais que les sentiments se fixent, que Tristan fixe ses sentiments sur Iseult, il peut aussi les fixer sur une autre femme. On peut toujours penser cela, on le sait maintenant. Iseult peut aussi fixer les siens sur un autre type que Tristan. Ce sont des figures, des symboles un peu emblématiques dans la civilisation occidentale. Mais c’est vrai que les figures de la passion sont hélas bien souvent interchangeables.
Ça donne une sorte de profondeur de champ au sentiment mais aussi une idée de la douleur ?
C’est ce qui fait la douleur du sentiment amoureux. On peut toujours dire à l’autre « Tu dis que tu m’aimes mais tu pourrais tout aussi bien le dire à une autre personne que moi ». Ce qui importe le plus, c’est que tu dises « je t’aime », peu importe celui qui reçoit le message. Il y a quelque chose de douloureux là dedans. Moi j’ai essayé vaguement, à travers le mythe de Tristan et Iseult, pas de parler de ça parce que je ne suis pas un spécialiste. Je n’aime pas beaucoup les chansons qui ont obligatoirement du fond. J’aime bien aussi la forme. La chanson c’est aussi le triomphe de la forme, il n’y a pas que du fond. Mais ça ne me dérange pas de parler du fond, en l’occurrence du sentiment amoureux.
Vous êtes souvent associé à un poète mais en réalité vous consacrez beaucoup plus de temps à la musique, à la composition. Est-ce qu’on peut évoquer cette façon de travailler, et surtout cet aspect des choses, qui est souvent un peu méconnu.
C’est vrai qu’on est dans une tradition assez lettrée. Si vous interrogez des artistes anglo-saxons, vous allez beaucoup moins les questionner sur les textes. On a une sorte de vieille culture assez lourde, culture du sens, de la lettre, du mot. Moi je me sens beaucoup plus dans le son. C’est vrai que pendant l’enregistrement d’un disque, le texte n’est pas ma préoccupation numéro un. C’est surement un avantage, mais je pense que ça représente beaucoup d’inconvénients. Ça nous donne un peu un côté looser, ce qu’on fait est jugé d’une façon beaucoup trop littéraire je crois. Il faut répondre à des interviews, essayer d’avoir du sens, être un pseudo écrivain, un pseudo penseur, un pseudo je ne sais quoi.
C’est difficile pour vous d’être confronté aux médias ?
C’est une pesanteur, on est obligé de donner une explication, un accès facile aux gens à ce qu’on essaye de faire, par les mots. Alors que dans le travail lui-même, les mots n’ont pas l’importance fondamentale qu’on veut leur prêter à chaque fois. C’est une des choses les plus désagréables pour moi dans le job. Parce que des fois on a l’impression d’être enterré vivant. Là je vais partir en tournée, je répète. Je me prends le chou avec les textes. Les textes ça me gonfle, je préfère jouer de la guitare et chanter. Le chant lui-même. Le mot n’est pas si important que ça. Mais on est obligé d’aborder, en interview, en explication promotionnel, de mettre en avant une explication quasiment textuelle de ce qu’on fait. Alors que ça n’a jamais pris le dessus dans l’élaboration et l’enregistrement d’un disque. C’est comme ça.
C’est un vieux fantasme de musicien je crois, tout faire tout seul. On pense à McCartney, Stevie Wonder… « Je vais tout faire tout seul ». Je n’avais jamais vraiment sauté le pas, tout faire tout seul, C’est à la fois un problème d’égo, de plaisir aussi, j’aime beaucoup jouer un peu de tout les instruments. J’en ai ras le bol de montrer pendant des heures aux musiciens pour chaque album ce que je voudrais qu’ils fassent. Je le dis souvent en interview mais c’est vrai. A New York, je disais aux musiciens « ça serait mieux si tu faisais ça ». Et ils me disaient « Pourquoi tu ne le fais pas ? ». En France, un musicien ne dirait jamais ça. Mais là bas ils disent ça, alors je me suis dit « t’es vraiment con, pourquoi tu ne le ferais pas toi-même ? ». Il y a aussi un autre côté, il faut bien le dire, c’est un côté un peu économique. On est dans une économie sinistrée, il faut faire maintenant ses petits disques chez soi, dans son coin. Si on est multi instrumentiste, c’est une bonne opportunité pour faire les choses soi même. On ne le fait pas par dépit, il faut aussi que ça apporte un plus artistique ou émotionnel au projet, le fait de tout faire tout seul. Je ne suis pas archi fanatique de ça non plus. Pour revenir à ce que je disais tout à l’heure, le texte n’est pas fondamental, pour moi la musique que j’aime c’est une musique de groupe, qui se met en place en groupe. Dans ce sens là, je me sens orphelin et ça ne me plait pas du tout. Je le fais quand même mais je ne peux pas dire que ça m’enchante même si je le fais.
En revanche, « Tristan » est un album qui colle à votre quotidien. Du coup, le fait de tout faire soi même, à domicile, on se lève le matin et jusqu’au soir, on est directement dans l’album. Inévitablement, il y a une adéquation qui se produit entre son quotidien et son disque ?
C’est ce qui pouvait se passer au mieux. Ça peut être aussi une catastrophe. Il peut avoir une sorte de nombrilisme qui peut être assez ravageur. Moi je suis aussi producteur, il faut que j’aie une distance d’auteur compositeur mais c’est une distance de musicien et aussi de producteur. C’est assez intéressant mais je n’ai pas envie de reproduire ça pour chaque album. C’est bien une fois de temps en temps de le faire.
Votre tournée, démarre en solo avec des dates à Paris, à L’Européen. Ensuite au printemps 2009, une autre tournée…
Il y a une quinzaine de dates en solo. C’est-à-dire moi tout seul avec une petite chaise et deux guitares, à l’automne. Et enfin, je vais revenir à la vie au printemps, en groupe.
C’était volontaire, de partir au début tout seul, de ne pas se reconnecter immédiatement aux musiciens ?
C’est une sorte de désir. C’est pas mal de tourner tout seul même si c’est quand même super chiant. On se fait beaucoup chier de tourner tout seul. Je reviens à cette même idée, la musique que j’aime c’est une musique de groupe. Je n’aime pas les trucs en solitaire. Mais c’est aussi une sorte de challenge. Je ne l’ai jamais fait. J’aimerais bien savoir de quoi je suis capable tout seul sur scène.
Est-ce que ça veut dire qu’il n’y aura peut être pas un nouvel album tout de suite, par rapport à d’habitude ou ça s’enchaine tout de même assez vite ?
Je ne sais pas. Je réfléchis beaucoup à ça. Vu l’état du disque, le réflexe des acheteurs, l’état des médias, du marché, la psychologie des artistes, l’état du pays, le moral, presque la psychologie du pays, je ne sais pas. Je crois que tout change et qu’on doit changer aussi. Même si 80% des ventes sont encore des ventes physiques, en magasin sur un support CD. Je pense que c’est de notre responsabilité de trouver d’autres façons de faire, ou de mourir. Du moins de mourir les armes à la main. J’aimerais beaucoup mourir les armes à la main. Je n’ai pas beaucoup envie de prolonger cette sorte de train-train que j’ai l’habitude de faire, qui est assez confortable.
Je crois que ce schéma là hélas n’est plus valable. Il ne faut pas non plus s’obnubiler sur le progrès, la technologie n’est pas obligatoirement un progrès. Le saucisson pur porc en tube n’est pas forcément un progrès par rapport au saucisson fait dans un vrai boyau il y a un siècle en Auvergne. Le progrès n’est pas toujours fantastique. Mais résister au progrès n’est jamais très productif non plus. C’est un truc de nase que je n’aime pas beaucoup. Alors je ne sais pas du tout quel est le comportement le plus juste à adopter. C’est une grosse question de notre job, entre musiciens et artistes on parle beaucoup de ça. On attend aussi beaucoup l’automne pour savoir ce qu’on va décider par rapport à Internet. C’est un problème. Nous sommes dans une industrie sinistrée donc on ne peut pas continuer à reproduire les schémas d’avant. Ils ont prouvé qu’ils n’étaient plus efficaces. Quel nouveau schéma ? Je ne sais pas. Je suis un peu comme « Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? ». Je vois venir quelques petites choses mais je continue la réflexion. Mais ça ne sera certainement pas une cadence et une façon de faire comme je le faisais avant. Certainement pas. Ça me semblerait être un comportement de loser. Il y aurait une sorte d’amertume là dedans. Le « c’était mieux avant » n’est jamais une bonne façon d’aborder les choses.
Label : Polydor
Sortie de l’album : le 31octobre 2008