Scène française
Mathieu Boogaerts : Regardez l'interview extraite de l'album « I love you »
Mathieu Boogaerts : Regardez l'interview vidéo tiré de l'album
N’y allons pas par quatre chemins : avec « I LOVE YOU », Mathieu Boogaerts frappe un grand coup. Avec ce disque tout en punch et en nerfs, qui vous saisit et vous croque avec la sensuelle férocité d’une bête sauvage, l’auteur d’Ondulé ne fait pas seulement voler en éclats cette image de chanteur lunaire qui, depuis trop longtemps, lui colle injustement à la peau.
Biogaphie :
Tournant le dos à son passé, Mathieu Boogaerts s’offre un aller sans retour vers un autre monde musical, un autre pays, dont il invente avec une volupté palpable la langue, les lois et les coutumes. Un pays qui, comme aux plus grandes heures du rock, du rap ou du funk, prônerait la révolution permanente.
Chez Mathieu Boogaerts, le changement est si radical qu’on pourrait le croire motivé par bon gros coup de sang (mais quelle mouche l’a donc piqué ?) ou par une très sévère crise existentielle (mais par quelles affres est-il donc passé pour en arriver là ?). Sauf que c’est tout le contraire : si Boogaerts a ainsi remis en cause tous les acquis d’une carrière entamée il y a près de quinze ans, c’est parce que, pour la première fois, il a connu le sentiment du devoir accompli. « Avec « Michel », mon album précédent, j’ai eu l’impression d’avoir bouclé quelque chose. Je n’ai jamais été aussi peu frustré à la fin d’un disque. D’habitude, j’avais l’impression d’avoir raté quelque chose et je me disais que j’allais devoir faire mieux la fois d’après. Là, j’ai eu la sensation que s’il s’arrêtait avec Michel, mon parcours aurait une certaine légitimité. Du coup, j’ai ressenti une liberté que je n’avais jamais éprouvée – ou alors au tout début, avant mon premier disque, quand tout semblait possible. »
C’est toute la beauté des fins de cycle : elles vous permettent de goûter à nouveau à la fraîcheur des commencements. Après les chansons de Michel, qui dans leur subtil dépouillement exprimaient la quintessence de son art, Mathieu est donc reparti de zéro. Premier geste fort : exit la guitare sèche, cette compagne fidèle avec laquelle il avait l’habitude de saisir à la volée de belles idées tombées du ciel. Et place à la batterie, un vieux flirt (« Ça a été mon premier instrument, quand j’avais dix ans« ) avec lequel il a éprouvé le besoin d’entamer une relation enfin sérieuse.
Changer d’outil pour mieux se refaire la main et se changer les idées : tel est le pari que s’est lancé Mathieu. Pour le relever dans les meilleures conditions, il lui restait à trouver un cadre dans lequel il pourrait expérimenter sans contrainte. A Bruxelles, où il a vécu un an et demi, le Français a déniché le lieu rêvé : un ancien stand de tir de la police, spacieux, bon marché et insonorisé, aussitôt transformé en home-studio. C’est là, à raison de cinq journées de travail par semaine, qu’il a ainsi jeté les bases de chansons aux contours totalement inédits. « Au lieu d’être des suites d’accords à la guitare, mes premiers jets étaient des rythmes de batterie que je faisais tourner en boucle. C’était très ludique et spontané : en une demi-heure, j’avais l’essence d’un morceau. Ensuite, je trouvais une espèce de mélodie, une ligne de basse, et j’arrivais à un embryon de structure et à une poignée de phrases, dont le sens découlait directement du son. Pendant deux mois, j’ai fait comme ça un ou deux morceaux par jour. Puis j’ai commencé à filtrer, à ne retenir que les meilleurs. »
Partisan de la simplicité, Boogaerts a choisi d’enregistrer toutes les parties instrumentales en solitaire, à l’exception de quelques cuivres et chœurs, assurés par des amis musiciens rencontrés à Bruxelles. Et il a volontairement réduit la voilure sonore, n’utilisant en tout et pour tout qu’une batterie, une basse, une guitare électrique et un synthé. « Ce genre de contrainte me stimule beaucoup plus que si j’avais huit batteries à ma disposition… Quand j’ai peu d’options, j’arrive plus facilement à l’essentiel. »
L’essentiel, ici, saute aux oreilles dès Come to me, première flèche d’un album qui décoche une grêle de traits rythmiques, sonores et vocaux. Sans esbroufe, mais avec une intensité de tous les instants, les chansons d’I LOVE YOU, comme tendues par les forces du plaisir, ne visent qu’un but : provoquer – au sens le plus charnel et électrique du terme – l’auditeur, embraser tous ses sens, le ramener à sa condition première d’animal désirant. « Avec Michel, je voulais réaliser un album beau, profond et introspectif. Pendant un an et demi, je me suis appliqué à rendre cette beauté sur scène, mais j’ai ensuite eu envie de passer à autre chose. Aujourd’hui, je n’ai pas envie qu’on me dise que la musique d’I LOVE YOU est belle, mais qu’elle est sexy. »
Ô combien sexy, oui, et dotée d’un charme incendiaire qui n’a que peu d’équivalents dans la faune musicale actuelle. Tout au plus pourrait-on lui trouver quelque cousinage avec l’electro-rock (Fais gaffe, Game over) ou encore avec ce funk-rock mutant né dans les ruines fumantes du punk, qui fit les beaux jours du label new-yorkais Zé Records (Chape de béton, Bandit). C’est à New York, d’ailleurs, que Boogaerts a finalisé les paroles de ses chansons. Lesquelles, autre surprise de taille, adoptent souvent les fiévreuses pulsations de la langue anglaise pour mieux explorer l’un des thèmes de prédilection du Français : les troubles du cœur amoureux. « Dès le début, les textes sont arrivés spontanément en anglais, alors que ça n’avait jamais été le cas avant. C’est un anglais un peu naïf, approximatif, avec des fautes que je n’ai pas cherché à faire mais qui sont venues naturellement et que j’ai assumées comme telles. Là encore, l’instinct a vraiment primé. »
N’en disons pas plus : s’épancher davantage sur les qualités de « I love you », ce serait trahir le propos d’un disque qui, en trente-trois minutes menées tambour battant, célèbre les noces de l’esprit de concision et de l’esprit d’invention. « J’ai toujours été à la recherche d’une musique qui soit à la fois évidente et originale, dit Mathieu Boogaerts. J’adorerais qu’en écoutant ce que je fais, quelqu’un dise : « Ah mais oui, bien sûr, il fallait y penser ! » ». Qu’il soit rassuré : ce sont précisément les mots qui nous viennent en tête à chaque fois qu’on se prend de plein fouet les chansons d’I LOVE YOU.