Scène française
Interview du groupe Indochine
Interview
En tournée dans toute la France à partir du 6 octobre 2009. En concert au Stade de France le 21 juin 2010. Découvrez dès aujourd’hui l’interview d’Indochine alors que la sortie prochaine de leur nouvel album est prévue pour le 9 mars 2009.
Vous êtes en pleine répétition après avoir enregistré l’album quelques mois avant sa sortie. Pourquoi répétez-vous tellement en amont avant les concerts ?
Nicola Sirkis : C’est la première fois. C’est un service qu’on se rend. Il s’agit de ne pas travailler dans la précipitation et le stress. C’est un album plus difficile à faire sur scène que d’autres. Les morceaux sont musicalement radicalement différents les uns des autres. Il y a des morceaux acoustiques, il faut bien gérer les petits détails. Au lieu d’attendre patiemment chez soi la sortie de l’album, on a commencé à travailler. L’idée de commencer à travailler tout de suite fait qu’on n’enchainera pas deux mois de répétition avec le stress de la première date. On commence par étape. On s’est dit que cette fois ci, on allait faire trois périodes de répétition tous les deux mois. C’est une façon de travailler plus relax. En plus, on a besoin d’avoir une idée très précise de ce qu’on voudrait faire pour cette tournée en octobre, par rapport à l’infrastructure qu’il va y avoir. Il n’y a pas de mise en scène mais des images vidéo. Comme d’habitude, on se décide toujours au dernier moment. Là, on donne le temps aux gens qui travaillent avec nous de faire des images, de travailler. Il y a un gros travail d’éclairage, de son et d’image sur deux ou trois morceaux. Donc il faut s’y prendre un peu à l’avance. Ça devient sérieux, avec les dates qui arrivent. On y va un peu plus professionnellement.
Vous avez annoncé que vous alliez finir votre tournée au Stade de France. Estce que çà a conditionné l’écriture et l’arrangement des morceaux de se dire que le cadre dans lequel vous allez jouer est encore plus vaste que les précédents ?
Nicola Sirkis – Je ne sais pas si on s’est posé la question. On a dû se décider pendant l’écriture.
Oli de Sat : Non, ça n’a pas eu d’influence. Le Stade de France est une date de concert et non pas une date de fin de quoique ce soit. Ce n’est pas un but pour l’album ou pour le groupe. On essaie de prendre ça comme un concert. L’écriture de l’album s’est faite pendant un an et demi. Nicolas a eu l’idée du Stade de France en fin d’écriture. L’album était déjà bien avancé. On n’a pas du tout calculé les compositions ou les arrangements par rapport au stade. Heureusement.
Nicola Sirkis : Par contre, avant de les écrire, on sait celles qui seront faciles à faire live et celles qui ne le seront pas. On sait comment ça pourrait fonctionner. J’avais ça dans la tête pendant toute l’écriture mais ce sont deux choses différentes, deux choix différents.
A la sortie de l’album « Alice & June », vous aviez dit assez clairement qu’il n’était pas impossible que la tournée qui allait suivre cet album soit la dernière tournée d’Indochine. Qu’est-ce qui fait que vous reveniez sur scène, que vous fassiez une grosse tournée ? Est-ce que c’est la tournée de « Alice & June » qui vous a donné l’envie de continuer à faire de la scène?
Nicola Sirkis : C’est l’argent. On a besoin de vivre ! A chaque début de tournée, j’ai énormément d’angoisses. Je ne sais pas si je vais arriver à la finir. Je vois toutes les dates qui s’ajoutent, le nombre de personnes qui vont y être et j’ai l’impression de ne pas pouvoir y faire face, physiquement, moralement… Je me donne toujours une porte de sortie. Mais c’est vrai que la tournée de « Alice & June » a été une de nos plus belles. La plus belle qu’on n’est jamais réalisée, de tous les points de vue, avec l’équipe qui nous entourait, les images, le public… Sortant du succès monstrueux de « Paradise », on ne s’attendait pas du tout à ça. Ça nous a donné une énergie positive. J’avais dit la même chose au début de la tournée « Paradise », qu’on ne ferait peut être plus de grande tournée comme ça. Finalement, en début de tournée, on part en se disant qu’il va falloir tenir. A la fin, alors qu’on est beaucoup plus fatigués, on a envie d’y retourner tout le temps. C’est comme une drogue. Mais on n’a pas joué depuis deux ans. Ça nous a donné le temps de réfléchir. Sur cette tournée, c’est la première fois que je dis que ça ne sera pas la dernière. C’est plutôt mauvais signe quelque part. Je déconne.
Vous annoncez une tournée dans les grandes salles et le Stade de France. Vous avez pris goût au gigantisme et vous n’imaginez plus de jouer dans des petites salles ? Ou bien y aura-t-il aussi des petits concerts, des choses inattendues et un peu secrètes ?
Nicola Sirkis : On a terminé la tournée « Alice & June » par cinq petites salles, à l’époque de la sortie du DVD. On a joué dans des salles de mille personnes. On n’a aucun favoritisme sur les grandes ou les petites choses. Je pense qu’il y aura des concerts éparses, qu’on va essayer de monter dans des salles plus petites. Ce qui est toujours intéressant c’est de passer de grandes dimensions à des petites. Mais on n’a pas un goût du gigantisme. Un goût du risque oui. Le goût de s’apercevoir et de voir qu’un groupe français peut réussir à faire ça. Ce qui m’a poussé à faire le stade, c’était de me dire que notre public mérite de nous voir dans une arène pareille, que ce n’est pas réservé à des groupes anglo saxons ultra médiatisés ou à quelques artistes, français ultra médiatisés. On peut aussi réussir à faire une autre voie. Çà a l’air de fonctionner, en imposant un prix pas cher pour les places, en faisant plein de choses. Çà veut dire qu’il n’y a pas les gagnants et les perdants. On arrive toujours à provoquer.
Economiquement, comment arrivez-vous à imposer et à maintenir un prix des places si bas alors que tout le monde sait que le prix des places de concert s’envole ces dernières années. Comment faites-vous ?
Nicola Sirkis : On décide de gagner moins d’argent. Nos équipes techniques sont payées au même prix que celles des autres artistes. Mais on n’est pas là pour s’acheter un yacht de plus. Déjà on n’en a pas. Ce n’est pas le but d’Indochine que de s’enrichir en faisant de la musique. C’est vrai que ceux qui pratiquent un prix des places plus cher, alors que notre production n’est pas du tout au rabais, ont un autre but, un but économique. Nous nous n’avons pas de but économique. Notre premier but est le plaisir.
On parle depuis vos premiers tubes du public d’Indochine comme d’un public particulier, qui s’est renouvelé entièrement sans doute plusieurs fois. Qu’est-ce que ce public a de si particulier ? Quel regard portez-vous sur ce public, si vous arrivez à le regarder d’une façon un peu extérieure, un peu objective ?
Nicola Sirkis : En ayant vu beaucoup de concerts, même si on est mal placés, je trouve que c’est un public passionné comme j’en ai rarement vu. Passionné au sens noble du terme. Ils ne sont pas hystériques.
Oli de Sat : Je me souviens que dans les années 90, avant de rentrer dans Indochine, j’étais fan du groupe. Médiatiquement, le groupe était au creux de la vague. Dans les salles, il y avait une effervescence, une communion avec le public qui était bien là. Le public a toujours suivi, soutenu et défendu le groupe d’une façon assez inexplicable. Je trouve ce rapport étrange, quand on voit que le premier rang est là quasiment sur toutes les dates. Ils font du covoiturage pour nous suivre partout. Ils prennent leurs vacances en fonction des dates de concert. C’est une histoire passionnelle assez inexplicable. Je pense que ça vient un peu forcément du groupe. C’est un des rares groupes qui respecte son public. On va se bagarrer pour avoir des places de concert pas excessives, on a une déontologie vis-à-vis de la musique et des médias. Je pense que depuis le temps le public a compris ça et se sent attaché à ce groupe.
On a souvent parlé de la fin d’Indochine, que ce disque là ou le suivant serait le dernier. Il y a toute une mythologie de la fin d’Indochine, quasiment depuis vos débuts. Est-ce difficile à vivre d’être toujours le phoenix, annoncé en fin de carrière à chaque album et de renaitre à chaque fois de ses cendres ?
Nicola Sirkis : C’est rigolo. On est quand même plus proche de la fin que du début. On n’est pas en début de carrière. Je me rappelle de certains commentaires du premier album, « Le début de la fin »… Maintenant, c’est « Est-ce qu’ils vont vraiment arrêter ? ». Je ne m’imaginais pas être là au bout de trente ans. Ça s’est fait irrationnellement. C’est toujours plus intéressant d’être un outsider plutôt que d’être le succès annoncé ou confirmé.
Vous avez dit une ou deux fois que vous rêviez d’arrêter la musique et de disparaitre d’une certaine manière, comme Salinger. C’est toujours un fantasme ?
Nicola Sirkis : C’est toujours un fantasme très réalisable. Si j’y arrive, je préférerais être un vieil écrivain qu’un vieux chanteur. Un vieux chanteur, c’est toujours un peu pathétique. Mais est-ce qu’on peut trouver les Stones pathétiques ? Ils font toujours du rock à 60 ans passés. Il y a du pour et du contre. Je ne sais pas. Pour l’instant, j’arrive encore à me regarder dans la glace. J’attends le moment où je me dirais qu’il faut que je m’arrête. J’ai toujours trouvé ça pathétique d’être un vieux chanteur.
L’album sort dans quelques semaines. On n’en connaît pour l’instant qu’un seul morceau. Qu’est-ce que vous pouvez en annoncer ? De quelle couleur, de quelle teneur est-il ?
Nicola Sirkis : C’est un album comme un météore. Il va arriver très vite, il va s’écraser et exploser dans tous les sens. C’est un album qui va dans tous les sens. C’est une météorite, il est incontrôlable. Il y a des morceaux de tous horizons et de toutes nationalités. C’est un melting-pot culturel. C’est l’album le plus curieux qu’on ait pu faire. J’ai l’impression que c’est le meilleur album d’Indochine. C’est un peu évident de dire ça à chaque fois mais on est arrivés à faire ce que je voulais faire depuis très longtemps, c’est-à-dire réunir les mélodies les plus ultimes qu’on peut réussir à faire avec nos petits moyens. On a fait quelque chose qui hérisse le poil, et donne la chaire de poule à certaines personnes. C’est ce que je voulais arriver à faire avec la musique. Et on peut y arriver. C’est aussi un peu difficile d’en parler. On l’écrit depuis un an et demi, sur plusieurs périodes, dans différents endroits. Je ne sais pas si c’est l’album le plus difficile.
Oli, pour toi qui es là depuis trois albums, c’est l’album le plus difficile ?
Oli de Sat : Je ne crois pas que c’était difficile. Autant, pour « Alice & June », on sortait de « Paradise ». On faisait tout pour ne pas y penser, ne pas se mettre de pression. Forcément, ça ne serait pas un évènement comme « Paradise ». Là, on sortait de « Alice & June » plus posé, plus libre. On est parti en faisant ce qu’on avait envie de faire, avec les moyens du bord. On s’est acheté des petits jouets, des choses acoustiques. On est parti sur des mélodies-voix, avec moins de productions électroniques. Ça a peut être abouti à des compositions plus abouties et plus écrites.
Nicola Sirkis : Sur certains morceaux, on a travaillé cinq ou six mélodies-voix différentes. On a pris notre temps. Pour « Alice & June », on a pris du temps mais on voulait faire un double album. Là, on voulait faire un album simple et on se retrouve presque avec un double album. On compose beaucoup. C’est un parallèle aux années 80 où, quand on écrivait un album, on faisait dix morceaux et c’est tout. Ils étaient bons mais on n’en écrivait que dix, on ne les choisissait pas parmi trente. Avec Indochine, on est assez prolixe en ce moment, on fait vingt, trente, quarante morceaux par album. Et le reste va à la poubelle. On ne recycle pas.
Vous écrirez un jour un disque à la première personne, un disque qui parle beaucoup de vous ?
Nicola Sirkis : Je suis un peu trop pudique pour çà. Il y a énormément de chanteurs qui ne parlent que d’eux, de leurs problèmes personnels. Moi je reste plus pudique que beaucoup d’autres. Mais c’est déjà totalement impudique de faire ce qu’on fait, se montrer à poil sur une affiche… C’est rigolo, c’est rock&roll. Après, parler de soi et se plaindre de la difficulté à être chanteur… Je trouve ça un peu pathétique. J’ai trop de retenue par rapport à çà.
Vous posez nus sur votre affiche. Ça va beaucoup moins choquer que la première fois qu’un chanteur s’est mis nu sur une affiche, dans les années 70. Vous avez l’impression que la musique peut encore choquer, encore être dangereuse ? La vôtre en particulier ?
Nicola Sirkis : La nôtre je ne sais pas. Oui et non. Le but quand on s’est mis à poil sur cette affiche n’était pas de choquer. En France, en démocratie, on voulait montrer qu’on allait faire le Stade de France sans artifice. C’est à la scène comme à la ville. On n’a pas besoin d’un concept, de dire que c’est notre dernière tournée, que je vais très mal, que je suis écrasé contre le sol. On voulait dire « Restons simple, et on peut arriver à faire le Stade de France ». C’est aussi un hommage à un photographe américain. Maintenant, la musique peut toujours véhiculer des choses. Sur chaque album, on peut balancer des trucs qui resteront. On peut se permettre çà. On a la chance d’avoir la liberté d’expression et cette liberté d’expression est communicative. On ne va pas se gêner de temps en temps. Qu’une chanson comme « Troisième sexe » reste toujours d’actualité aujourd’hui alors qu’elle a été écrite il y a vingt ans, c’est toujours intéressant. On a sa petite fierté par rapport à çà. Elle n’aura rien changé au monde, au niveau de l’homophobie, mais elle restera quand même.
Votre album va sortir bientôt. Vous avez le trac ?
Nicola Sirkis : Non.
Oli de Sat : Non plus.
Nicola Sirkis : Ni trac ni regret. Mais maintenant il ne nous appartient plus. Jusqu’au dernier moment, il nous a appartenus. On a encore deux ou trois trucs à régler mais après il ne nous appartient plus. On ne peut plus rien faire. Il est dans son coffret et advienne que pourra. On passe à l’autre.