Scène française
Interview Mathieu Boogaerts
Interview
N’y allons pas par quatre chemins : avec son album « I Llove you », Mathieu Boogaerts frappe un grand coup. Avec ce disque tout en punch et en nerfs, qui vous saisit et vous croque avec la sensuelle férocité d’une bête sauvage, l’auteur d’Ondulé ne fait pas seulement voler en éclats cette image de chanteur lunaire qui, depuis trop longtemps, lui colle injustement à la peau.
On peut dire que votre dernier album est un vrai parti pris.
Oui, on peut dire ça, plus que pour les précédent. J’en suis à mon cinquième disque. Pour chaque disque, je faisais un peu le disque qui me venait naturellement en tête, en bouche et dans les doigts. J’ai pris le parti de changer de méthode et de bousculer un peu mes habitudes. J’avais le sentiment au bout de quatre disques d’arriver au bout du premier chapitre. Il fallait que je change quelque chose à ma façon de faire. C’est arrivé au bout de quatre disques. Il y a des artistes à qui ça arrive au bout de deux, d’autres au bout de dix. Moi c’est au bout de quatre.
Est-ce que tu as l’impression que tu essais d’inventer des mots, pour créer ta propre patte ?
Je pense que c’est le propre de l’écriture de chansons, de poésies, ou de quoique ce soit d’artistique. On a une matière et on essaie d’harmoniser des choses entre elles. Un peintre dira « Je vais mettre du bleu, et du marron« … Moi c’est un mot avec un autre, sur une note puis une autre. D’un seul coup, je fais ma cuisine avec ces outils là exactement comme n’importe quel autre auteur compositeur. Après chacun a sa personnalité, chacun va développer quelque chose en fonction de son cadre de référence et de sa sensibilité. Je crois que je fais comme tout le monde.
Par exemple, concernant ta démarche de multi instrumentiste, ce n’est pas la virtuosité qui t’intéresse pour chaque instrument ?
Non, pas du tout. La virtuosité n’intéresse personne. Même un amateur de jazz, ce qu’il va apprécier n’est pas de savoir que le batteur sache faire tel son, c’est qu’il le fasse à un moment qui lui procure une émotion. Mais de savoir que c’est un virtuose, je pense que tout le monde s’en fout.
Il y a quand même un thème récurrent chez toi, c’est l’amour. Tu n’en as pas fait le tour ?
Non. A posteriori, je m’aperçois que pour écrire une chanson jusqu’au bout et après l’assumer, l’enregistrer, la mettre sur un disque avec ma photo et mon nom et vendre le disque vingt euros en magasin, dire « achetez le c’est bien, c’est moi« … Pour faire ça, et monter sur scène devant deux cent personnes qui m’écoutent chanter mes chansons, il faut qu’elles soient profondes, que ça soit quelque chose de sérieux et de vrai. La seule chose qui m’émeut et qui me stimule au point d’en faire un disque ce sont les histoires d’amour. L’amour au sens propre, pas forcément entre un homme et une femme. Ça peut être l’amour entre moi et le reste du monde, les parents, les amis, les animaux… Il faut toujours que ce sentiment soit présent. Ce n’est pas un principe mais s’il n’y a pas ça je n’assume pas. Je ne pense pas que ça soit très personnel. Sur toutes les chansons du monde, je pense que 90% parle plus ou moins d’amour. Je trouve ça assez normal. Après, c’est ma façon d’en parler, mon expérience, mon langage… Je ne crois pas que ça soit orignal de parler d’amour plutôt que d’autre chose.
En même temps, ce sont aussi les expressions que l’on va employer, l’angle qu’on va choisir… « Je n’en peux plus que tu m’attaches à ton nichon ». On ne le dit pas souvent !
Oui, sur cette chanson… Je n’aurais jamais pu écrire ça sur une feuille de papier et le mettre en musique. Le phrasé que j’ai trouvé sur ce rythme induit ce langage là. Tout est lié. Au départ, c’est de la musique, une mélodie ou un rythme et puis après il y a un phrasé et ce phrasé sur cette musique m’évoque tel sentiment, tel esthétique, tel ton… Vous citez cette chanson mais il y en a d’autres beaucoup plus « fleur bleue », romantiques. Dans une autre je vais dire « ton cul à Honolulu« … On est tous un peu bien élevé-mal élevé, gentil-méchant, drôle-pas drôle, fort, moche, beau… Un jour on peut se dire qu’on est beau et qu’on a ce pouvoir. Le lendemain on se trouve moche et on passe une journée un peu différente.
Tu aimes bien conserver des petits bouts, tu es à l’affût de tout ce qui arrive et je sais que tu fonctionnes beaucoup par dictaphone. Tu l’as toujours sur toi ? C’est important de capter ?
Le dictaphone, pour les gens qui ne le savent pas, est un magnétophone à cassette qui est tout petit, qu’on met dans sa poche et qui ne coûte rien. Il a l’avantage d’être très pratique. J’ai ça parce que je suis autodidacte donc je ne sais pas écrire la musique. J’ai ça parce que quand j’ai une mélodie à l’esprit, pour qu’elle ne m’échappe pas, le seul moyen est de la mettre sur le dictaphone. Je peux aussi laisser un message sur un répondeur. C’est juste ça. Toutes les musiques que j’ai écrites, je n’ai jamais cherché à les écrire. Je ne me mets jamais à la guitare en me disant « ce matin tu vas écrire une chanson ». Je n’y crois pas trop. Je pense qu’une bonne chanson est une idée qui tombe du ciel. Je ne crois qu’à ces idées qui arrivent quand on ne les cherche pas. C’est comme tous les bons films et les bonnes histoires. J’imagine un auteur qui marche dans la rue et qui a une idée d’un seul coup. J’imagine que c’est ça. Pour pouvoir capturer cette idée qui peut arriver n’importe quand, le dictaphone est l’outil idéal. Au même titre que n’importe quel auteur de films ou scénaristes a toujours un petit carnet sur soi de manière à pouvoir noter une idée de dialogue ou de situation. C’est aussi simple que ça.
Quand on écoute tes chansons on a envie d’entrer dans ta tête pour savoir comment tu as fait. D’où est née Jambe par exemple ?
C’est le titre de chanson le plus bizarre que j’ai fait. Il m’arrive très rarement de tomber par hasard sur mes morceaux en radio, parce que j’écoute rarement la radio. Ça m’arrive une fois tout les six mois. Là je suis tombé dessus, et la journaliste disait « Et maintenant un nouveau morceau de Mathieu Boogaerts, qui s’appelle… Jambes« . J’ai rit. Pour « Jambe », comme pour tous les morceaux que j’ai écrits, je ne me suis pas dit que j’allais parler de jambes puis chercher un moyen d’aborder le sujet. Ça part d’une improvisation, d’un lâchage. Après j’y crois ou je n’y crois pas. Il y a eu 500 improvisations et il y a 70 chansons au final que je garde. J’ai gardé Jambe sur le dernier disque. Il y avait un rythme tout con, que j’ai fait tourner dans le studio comme le rappeur le ferait. Je me suis mis au micro et j’ai cherché une façon de l’épouser avec ma voix. Je ne sais pas pourquoi, ce qui est arrivé c’est « danse, danse avec ta jambe s’il te plait« . Pourquoi j’avais ça dans la tête, je n’en ai aucune idée. Il y a toujours un premier jet. En partant de cette phrase « danse avec ta jambe s’il te plait » je me suis demandé ce que j’allais raconter. Je me suis dit que ça allait être une chanson sur la soumission, avec quelqu’un que je guiderais pour lui dire ce qu’il doit faire. A la fin c’est « crie que tu es happy« , et « pends toi à ma langue où je ne t’aime pas« .
On se désinhibe parce qu’il y a une chorégraphie qui va avec… Tu as libéré ton corps avec cette chanson ?
Oui. De toute façon, les chansons c’est la tête mais les accords et les mélodies font aussi beaucoup vibrer le corps. Pourquoi une mélodie mineure un peu triste nous émeut… ça crée des vibrations. On pense que ça vient de la tête mais ces mots, cette musique, ces notes, c’est le corps qui parle, de manière plus prononcée sur ce disque parce qu’il est plus rythmique, plus saccadé. Mais quand j’écoute une nocturne de Chopin, mon corps vibre au moins autant que quand j’écoute un James Brown. Mais il ne vibre pas au même endroit.
Mathieu Boogaerts est devenu plus rock ?
Oui, il était temps.
Ou punk ?
Je me sens plus punk. Il y a plus punk que moi mais je me sens plus punk que je ne l’étais à 25 ans quand j’ai sorti mon premier disque. Je n’ai jamais fait de concession. J’ai eu la chance depuis 13 ans de faire la musique que je veux comme je le veux. J’assume tout ce que j’ai fait. Après il y a des choses qui vieillissent plus ou moins bien, que j’aime un peu moins. Mais j’ai eu ce privilège énorme de sortir les disques dont j’avais envie, quand j’en avais envie, comme j’en avais envie Plus ça avance et plus j’ai l’impression que je vais être radical dans mes choix et de plus en plus expérimental. Ce disque est expérimental. Et si je faisais des disques à partir de rythmes ? Et ça a donné ça. Le fait d’avoir été confidentiel, d’avoir vendu assez de disques pour en vivre et d’avoir toujours un producteur qui me suit, je ne m’en plains pas. Mais je suis là sans y être, on me connait ou on ne me connait pas. Je pense que je vais me radicaliser. Je le suis déjà un peu. Peut être que ma vision du radical va changer pour mon prochain disque et que j’en vendrai cent fois plus. Je peux citer le disque de Philippe Catherine, son dernier disque Robots après tout. C’est un mec que je connais bien depuis longtemps, j’ai beaucoup d’estime pour ce qu’il peut faire. Quand j’ai écouté ce disque la première fois, je me suis dit qu’il y avait un coté punk. « Vous ne voulez pas acheter mes disques ? Allez vous faire foutre, je fais un disque où je parle d’éjaculation. ». Il est dans un côté anti séduisant. Finalement c’est le disque qui a le plus marché. Donc quand je dis que je vais me radicaliser, ça ne veut pas dire que je vais me marginaliser et sortir du circuit. Plus je vieillis, plus je suis content d’être artiste. Je suis content d’avoir choisi ça et je pense que ça va être de plus en plus radical.