Scène française
Interview Francis Cabrel
Francis Cabrel parle de Dylan
L’album de Francis Cabrel « Vise le ciel » est un hommage à Bob Dylan. Une rencontre logique et attendue entre le maître du folk-rock et son disciple qui se dévoile dans une entrevue pleine d’admiration.
A quel moment votre vie bascula t’elle musicalement dans ce que nous connaissons de vous aujourd’hui ? En 1963, lorsque vous avez entendu pour la première fois Like a Rolling Stone de Bob Dylan ?
Je répétais avec un petit groupe dans un garage prés d’Agen quand un mec a amené le quarante cinq tours qui arrivait d’Angleterre direct. Et ce fut la révélation, le coup de tonnerre, la lumière. J’avais seize ans et j’ai su que ma musique prendrait cette direction là. Peu de temps après, j’ai entendu le premier album de Leonard Cohen et tout cela s’est mélangé mais dans l’attitude, la posture, la démarche, Dylan a toujours été le modèle.
C’est un modèle que vous n’avez jamais renié, dont vous ne vous êtes jamais éloigné même si parfois, certains albums vous déconcertaient ?
C’est quelqu’un pour lequel j’ai la passion et l’indulgence de passer sur certaines zones moins inspirées.
Depuis quarante ans, Dylan est votre référence absolue, celle qui éclipsa au moment de sa découverte l’influence des Stones ou des Beatles ?
Par rapport à eux, il paraissait plus littéraire et il faisait vraiment ce qu’il voulait, il se moquait des conventions, il enregistrait des chansons de cinq/six minutes ou parfois plus, il avait une attitude de rocker qui bousculait tout sans tenir compte des codes. Je ne percevais pas directement l’engagement politique je le devinais dans sa façon de chanter pleine de morgue et de mordant, on se disait qu’il ne devait pas chanter des fadaises à l’eau de rose. Puis je me suis mis à étudier ses textes et découvrir qui il était. J’ai appris l’anglais avec les textes de Dylan.
L’idée d’un album hommage à votre maitre à chanter vous suit depuis une quinzaine d’années, régulièrement repoussée par d’autres impératifs. L’album hommage à Bob Dylan restait donc un vœu pieux. Faut-il se réjouir qu’une panne d’inspiration vous ait récemment paralysé dans l’écriture de votre nouvel album puisqu’elle vous a amené à enregistrer « Vise le Ciel » ?
Quand j’ai regardé en janvier l’état d’avancée de mon album de chansons personnelles, j’ai compris que mon inspiration était dans un creux, je faisais du surplace. J’ai donc sorti un grand livre de chansons de Dylan et j’ai pioché dedans. J’ai commencé par All Along The Watchtower. J’ai choisi une chanson difficile me disant que si je passais cet obstacle, je devrais pouvoir boucler l’album.
La principale difficulté de cet album fût-elle d’adapter en français sans en perdre l’esprit des textes réputés intraduisibles ?
Dylan surcharge d’images, il condense un maximum. Dans une même phrase il peut y avoir cinq ou six images fortes et le français ne permet pas la même compression que l’anglais. La leçon que donne Dylan dans son écriture est celle de la fluidité et de la rime intelligente perpétuellement rebondissante. J’ai privilégié cette fluidité à la traduction ultra précise.
Et cet album qui est né à cause d’une panne d’inspiration vous a t-il permit de retrouver la votre ?
Oui, pendant quatre ou cinq mois je me suis changé les idées en me plongeant avec un microscope dans l’écriture de quelqu’un d’autre. Quand je suis sorti de là, j’ai recommencé à écrire, comme si une vanne s’était rouverte.