Scène française
Holden Fantomatisme
Holden Fantomatisme
Le beau Fantomatisme qui nous parvient aujourd’hui confirme nos espoirs et, tout en creusant un peu plus encore la belle identité polyfacétique du groupe, avance aussi d’un pas et déplace subrepticement ses enjeux fondamentaux.
Pour la première fois Holden est entré en studio sans maquette préalable pour laisser l’architecture des morceaux se révéler au gré d’improvisations collectives et des intuitions in situ. Au final : un éloge permanent de l’instant, de la tangente et de l’événement inopiné, en même temps qu’un réceptacle d’échos et réminiscences fantomatiques (tiens donc).
Ce sont onze chansons sensibles, trouées d’ellipses et de rébus, des chansons de deuil amoureux . Aux trois quarts du disque, La Carta, reprise aussi tendue qu’explosive du brûlot politique de Violetta Parra vient ouvrir une fenêtre sur le monde comme il va (mal).
Onze chansons furetant d’une bossa nova mutante à un bluegrass rétro-futuriste, d’un kaléidoscope folk à quelque rengaine 50’s décomposée sur le mode cubiste, chaque fois donc éventrée d’une fugue onirique, d’apparitions instrumentales impromptues et de bruits parasites.
On pense alors à une Edith Frost francophone accompagnée par Broadcast, on rêve au Milton Nascimento de Clube Da Esquina électrocuté par Arto Lindsay, on se souvient des écrins modernistes d’Animal Collective pour Vashti Bunyan.
Entre clarté des mélodies et complexité sonore, Fantomatisme est un disque fluide où Atom Heart, discret comme jamais, laisse les chansons parler d’elle-même, se contentant de tirer ici telle perspective oblique, de briser là telle ligne de fuite, alternant subtilement fondus soyeux, coupures nettes, dérapages contrôlés. Le nouveau venu Jacques Tellitocci, aux percussions et vibraphone, semble contribuer au son désormais plus intimiste et feutré du groupe, tempéré ce qu’il faut par les claviers suspendus d’Evan Evans. La basse serpentine de Cristobal Carvajal Rastello donne des contours meubles aux chansons traversées par les brefs soli de guitare de Mocke véritables ovnis poétiques en soi, colorant le tout de stances jazz, piqués rockabilly atones , travellings psychés, vapeurs High Life et harmonies tropicalistes.
Armelle Pioline enfin, au sommet de sa lassitude exquise, nonchalante et sensuelle jusque dans ses absences volontaires, de sa diction pâle et désaffectée, joue des rejets et déplacements phonétiques avec une modernité de ton, un art de la distanciation suave, alanguie et brûlante d’érotisme lointain. Son chant se soucie peu d’incarner les textes à proprement dit, préférant s’abandonner aux courbes pures de la musique, avec une blancheur gracile et sinusoïdale à brouiller les sonars.
Avec Fantomatisme, Holden marque ses distances avec une certaine idée trop solennelle de la dite Chanson Française. Cousins d’artistes francs-tireurs comme Colleen et de songwriters sans boussole tel que Juana Molina, gageons qu’ils inscriront ce bel album dans le sillage des quelques rares œuvres d’ici qui, des belles heures de Brigitte Fontaine à Christophe et Bashung, ont su mêler chanson populaire, avant-garde et étrangeté, s’inscrire durablement dans les cœurs tout en sabotant amoureusement leur propre tradition.