Scène française
Interview Joseph d’Anvers
Interview Joseph d'Anvers
Au fil d’une tournée d’un an et demi qui l’a vu passer par le Printemps de Bourges, les Francofolies, Solidays ou encore le Japon, Joseph écrit les prémisses de ce nouvel album. Treize chansons pour un nouveau départ …
J’aimerais qu’on commence par le texte que tu as écrit pour Alain Bashung sur son dernier album, « Bleu Pétrole ». C’est un texte qui a été un catalyseur pour écrire ton deuxième album quelque part ?
Ce texte a été une prise de conscience du fait que j’étais tombé dans une sorte d’automatisme dans mes propres textes. L’écriture de Tant de nuits a été pour moi l’envie d’utiliser un autre vocabulaire, des mots que je savais que je ne chanterais pas. Après, le travail avec Alain a été très minutieux, très long sur les mots, des choses précises, la rythmique, la métrique. J’ai appris énormément de choses. A l’arrivée, pas grand-chose n’a changé par rapport au texte initial. Une lettre a changé, cette fameuse lettre dont je parle souvent. J’avais écrit « des angles un peu noircis ». Alain m’a appelé en me disant « J’ai changé quelques choses, j’aimerais avoir ton avis ». Il m’a fait écouter le texte qu’il a rechanté. Il a transformé « des angles un peu noircis » en « des ongles un peu noircis ». Je me suis rendu compte qu’il avait dû passer des plombes sur ce texte en se disant « Si je changeais cette lettre, qu’est-ce que ça ferait ? ». Ça faisait un truc vachement mieux.
Qu’as-tu ressenti, quelles sont les premières choses qui te sont venues à l’esprit quand tu as appris sa disparition ?
C’est encore un peu frais. Je suis très ému et très touché par sa disparition. Je ne m’y attendais pas, même si on connaissait tous son état de santé. Je ne m’y attendais pas si tôt. Je l’avais eu au téléphone un mois avant, et cette conversation était très touchante. Il m’a parlé longuement de mon album, il m’a dit tout le bien qu’il en pensait. Et il m’a parlé de « Tant de nuits », il m’a dit ce qu’il pensait de cette chanson une fois terminée. C’est une chanson qu’il aimait beaucoup je crois. C’était très touchant, il se livrait énormément avec moi. Peut-être qu’il savait que le temps était compté mais je ne pense pas. Quand il avait envie de dire des choses, il les disait. Il avait un côté où il parlait de l’avenir. Je sais qu’il avait sollicité Gaétan et Gérard Manset pour l’album d’après. Il y avait deux textes qu’on n’avait pas réussi à mettre en musique pour « Bleu Pétrole ». Il me disait qu’il voulait que je les lui garde absolument, qu’on les retravaillerait ensemble pour en faire quelque chose. On ne le fera jamais mais il y a avait ce côté où il parlait d’avenir. Je pensais qu’il allait vaincre la maladie. Il y a un côté « Alain Bashung ne peut par mourir ». Mais c’est un homme. Au moment d’apprendre ça, je l’ai appris juste avant le communiqué officiel et ce fut une journée un peu étrange. Je me suis levé le matin, j’ai fait le tri dans mes messages sur mon portable. J’avais un message archivé d’Alain, je l’ai réécouté le matin même. Toute la journée, j’étais peut être fatigué mais j’ai eu une salle journée, celle où tu as le blues et que tout va mal. J’ai eu envie que cette journée se termine et à 19h30 j’ai entendu son décès. Ça a été une journée à la fois étrange et horrible. Toutes nos discussions me sont revenues à l’esprit. J’ai l’ai connu sur une période de deux ans, une période assez courte donc, mais j’ai beaucoup appris à ses côtés. J’ai repensé à toutes ces phrases, ce qu’il a pu me dire et qui m’a influencé.
Quelle était l’idée conductrice qu’il défendait ? Je crois qu’il disait de toi, et ça correspondait à son univers au niveau des textes : c’est la musique qui vous entraine d’abord et le texte qui fait qu’on reste pour la chanson ?
Je crois qu’on avait un peu la même approche de la musique tous les deux, très anglo-saxonne. On écoutait beaucoup de choses américaines ou anglaises, et moi toujours. Quand j’écoute une chanson anglo-saxonne, je ne comprends pas les paroles du premier coup donc ce qui m’accroche c’est une mélodie, une musique. Quand tu te plonges dans les textes, c’est la raison pour laquelle tu restes sur une chanson, tu l’aimes et elle dure. Lui essayait de fonctionner comme ça en Français. Du coup, à son contact, je me demandais pour mon deuxième album « Les Jours Sauvages » comment faire pour que les gens écoutent cette chanson et ne remarquent pas forcément que c’est du français mais puissent chanter une musique, une ligne de basse, une batterie. Si on se penche sur les textes, les gens vont se rendre compte que j’ai un peu travaillé et que j’ai voulu dire quelque chose.
Il y a une épuration dans les textes, tu l’avais déjà pour Dick Rivers « L’homme sans âge » ; ce côté hypnotique avec des phrases qui se répètent et entrent dans la tête.
J’ai voulu plus jouer sur les mots que dans mon premier album. Je savais ce que je voulais faire au niveau musical. Au niveau des textes, il a fallu que je revoie toute ma méthode. Le passage à travers le prisme Dick Rivers et Alain Baschung m’a permis de me mettre en question, et d’appréhender d’autres styles musicaux et d’autres techniques. J’ai revu les choses un peu techniques comme la métrique. J’ai écrit avec tant de pieds mon premier album qui repose beaucoup sur des rythmes ternaires. Maintenant je voudrais passer en binaire, qu’est-ce qu’il faut que je fasse au niveau de la métrique, quels mots sonneront mieux ? Il y a eu cette boule, dans laquelle je voulais du sens, de la sonorité, je voulais quelque chose de très mélodieux. Ça a été un travail de modelage comme ça.
Musicalement, tu voulais une vraie caution, tu es allé la chercher aux Etats-Unis ?
Oui, au Brésil et aux Etats-Unis. Un producteur américain, Mario Caldato Junior, était un des mes producteurs de chevet, si on peut dire. Je me suis dit « Qui pourrait réaliser ce que j’ai en tête ? », parce que j’avais une limite technique. J’avais envie de garder ce côté texte en français, le côté « laid back » dans le chant que j’avais trouvé dans le premier album. q je ne voulais pas changer, être revendicatif. Je voulais utiliser beaucoup de rythmiques synthétiques mêlées à des vraies batteries, de vraies choses organiques, et revenir à mes amours premières, les guitares électriques et des sons un peu plus rock. Je cherchais quelqu’un qui pouvait remanier tout ça et obtenir une pate. J’ai regardé mes albums de chevet, les Beasty Boys, Blur, Jack Johnson, et j’ai remarqué qu’ils avaient un dénominateur commun, Mario Caldato Junior. J’ai envoyé un mail, c’est un peu la magie d’internet, avec quelques mp3. Quelques jours après, Mario me rappelle pour me dire qu’il a beaucoup aimé ce qu’il a entendu, et me demander d’envoyer d’autres choses. Après, ça a été très vite. Il m’a dit que le plus simple et le moins onéreux était que je vienne à Rio, dans son studio, et à Los Angeles où il a son studio de mix.
Tu cherches un peu une synthèse. Ton passé, le rock qui t’a bercé assez longtemps te rattrape forcément. Mai tu as gardé une espèce d’intimité. Le challenge est cette sorte d’équilibre ? Sur mon premier album, on m’a dit plein de choses biens mais on m’a reproché de ne pas être assez rock. Il y avait des rythmiques, des tournées jazz ou groove. Je n’étais pas assez groove ou pas assez rock. Je me suis dit que c’était bien de n’être pas « assez » finalement dans un monde où on catalogue très vite les gens. J’ai essayé d’être au milieu, aux confins d’une pulsation hip hop, d’une guitare électrique, et de garder ce côté « laid back », au fond du temps, ce côté un peu en retrait de la parole et du coup très doux. Si j’étais entré dedans comme je l’aurais fait dans mon dernier groupe, en slamant ou avec des choses expérimentales… Mais c’était il y a 10 ans, je n’avais pas envie d’y revenir, ni de revenir au rock. Je chantais des choses en français, ça ne s’y prêtait pas du tout. C’était tout l’enjeu avec Mario Caldato. C’est du français qu’il ne comprend pas forcément mais j’ai envie d’avoir cette petite retenue.