Scène française
L’interview de Mokaiesh
L'interview de Mokaiesh
Comme Léo Ferré (son idole de toujours), Cyril Mokaiesh écrit avec la rage d’un fauve déchiquetant sa proie, étrillant cette langue française avec l’amour et le respect qu’on doit à ceux qui vous nourrissent.
Cyril : Ca fait 3 ans que le groupe existe et je précise que Mokaiesh en fait c’est mon nom de famille. Et c’est vrai qu’on s’est rencontré au moment ou j’enregistrais mes maquettes pour moi. Ça s’appelait avant Cyril Mokaiesh, c’était vraiment le démarrage, je commençais mes premières chansons et mes premières maquettes. Et j’avais besoin d’un guitariste pour faire ces maquettes là dans un studio parisien. J’ai rencontré Yann qui travaillait dans le studio à ce moment là. Et c’est vrai que naturellement est né quelque chose d’assez simple et une complicité assez forte qui a fait qu’on a voulu continuer à travailler ensemble, de manière plus poussée dans un projet commun. Et naturellement l’idée de former un groupe s’est manifestée avec un peu de réflexion avec un petit peu de temps. Mais rapidement on s’est dit « il faut faire un groupe et il faut qu’on rencontre un batteur, un bassiste… » Je ne voulais plus faire des chansons pour Cyril Mokaiesh mais j’avais envie de rencontrer, de partager quelque chose avec d’autres personnes. C’est après qu’on a rencontré Alban qui était dans un groupe…
Yann : Oui moi je travaillais avec Alban dans un autre groupe donc ça je l’ai amené, on a rencontré Eric par la suite et c’est vrai qu’on s’est retrouvé autour du projet avec quatre identités assez complémentaires. Je crois que l’identité du groupe s’est créée d’elle-même tout de suite assez vite.
Cyril : Il n’y avait pas la volonté en tout cas de se dire voilà on va faire un groupe pour monter un groupe et parce que l’univers qu’on a est assez rock mais c’est vrai que ça se prête aussi à quelque chose de collectif. C’est vraiment la rencontre avec chaque individu et chaque influence, chaque univers qui a fait que voilà c’est naturel, c’est évident. Chacun apporte une pâte bien à lui, bien propre, et naturellement c’est devenu Mokaiesh et on a la volonté d’avancer ensemble avec l’équipe de départ.
Qu’est-ce qui t’as marqué chez Cyril, Yann ?
Cyril : Tous les quatre on a vraiment aussi des influences qui sont toutes assez singulières, assez particulières. Sur ce projet là, on se retrouve vraiment, on est vachement en phase tout de suite, dès qu’on joue ensemble, dès qu’on se met aux instruments, qui fait que voilà on vit ce projet. Et quelque part c’est notre moyen de se retrouver même si on est évidemment des amis aussi au-delà de ça mais on n’est pas un groupe qui est né du lycée ou de l’adolescence… On s’est retrouvé tous assez tard et finalement on a vraiment ce point commun là dans un projet qui nous correspond.
Yann : Oui et puis c’est marrant parce que moi je n’ai jamais écouté une musique française, de chansons en français et c’est la première fois que des textes m’ont touché et m’ont donné envie d’aller dans cette direction là. Moi j’ai une culture très anglo-saxonne et c’est vrai que je n’ai jamais écouté une musique chantée en français.
Cyril : Oui c’est vraiment une idole je peux dire. C’est une source d’inspiration et je le revendique. J’ai 22 ans et j’ai eu la chance de pouvoir le découvrir vers 17 ans et je me lasse c’est vrai pas du tout de son univers. C’est-à-dire que c’est tellement riche en poésie, en émotion et en impact. Pour moi c’est quelqu’un qui prenait vraiment le haut parleur et qui a réussi à faire passer des messages forts et de manière vachement touchante. Et c’est vraiment lui qui m’a donné avant tout envie de faire de la musique, envie d’exprimer quelque chose. On sentait que chez lui c’était un moyen d’expression vitale, il se mettait en danger. C’était quelqu’un, il sentait sur scène l’image que j’ai pu voir, on a l’impression qu’il sauve sa peau quelque part et ça se ressent. Il y a une électricité, il y a quelque chose qui m’a bouleversé, qui me bouleverse encore. A chaque fois que j’écoute Léo Ferré, quelque part ça me transforme et c’est une source d’inspiration et oui je suis fan aussi.
Il y a comme un état d’urgence à dire les choses. As-tu l’impression que c’est comme une soupape pour toi quand tu exprimes tout ce que tu as à dire ?
Cyril : C’est un petit peu ce que je te disais c’est-à-dire que pour moi, c’est vraiment un moyen d’expression, c’est mon moyen. Je pense être dans la vie quelqu’un qui n’est pas forcément très extraverti. Par contre sur scène, j’ai l’impression en tout cas de dégager quelque chose presque d’impudique et dans ma manière d’écrire, j’ai fait le choix et j’ai la volonté d’écrire des choses avec le moins d’esthétique possible. C’est aussi ça ce que l’on essaye de mettre en place dans le groupe musicalement. On n’est pas un groupe qui est dans l’esthétique ni dans la complexité au sens arrangement, et production. C’est ma volonté aussi d’écriture, de composition d’être dans le brut. Si je peux parler de poésie, une poésie qui est plus dans le sens et dans le fond que dans la forme. J’ai envie de dire des choses de manière brutale c’est vrai. Et une poésie qui est peut-être plus dans l’impact et dans la volonté de, même moi de progresser aussi dans ma manière de penser, de vouloir dire les choses, de vouloir les communiquer d’une manière assez brute.
Cyril : Alors ce n’est pas exactement le sens de cette chanson là dans le sens où cette chanson Cannibale, ça parle d’une histoire d’amour en fait. Mais ça reflète assez bien ma manière d’être, c’est-à-dire que effectivement, dans ce cas là précis, en amour je pense aussi être quelqu’un qui vit pleinement les choses, c’est une parenthèse je ne sais pas si ça intéresse beaucoup de monde. Mais dans la manière en tout cas de vivre, et ma manière de faire de la musique, effectivement il peut se dégager comme ça une envie, une soif de vivre, de brûler quelque chose, peut-être en moi ou peut-être de communiquer quelque chose d’assez intense, d’assez enflammé.
Il y a un côté très anti conformiste en tout cas, ne pas aller dans le sens du poil chez toi et lutte de pouvoir. Il est beaucoup question de ça ? Tu te sens très engagé ?
Cyril : Je ne me sens pas engagé au sens militant. C’est-à-dire que je suis intéressé par la politique et c’est une source d’inspiration pour moi parce que je me donne le droit même à mon âge, même dans un domaine qui est la musique, j’ai envie qu’on fasse partie de ce qui ont la possibilité et l’envie de prendre le haut-parleur et de dire des choses. Alors dire des choses ce n’est pas forcément véhiculer des messages qui sont bien précis politiquement quand le thème de la chanson par exemple est politique mais c’est se donner le droit de dire « je ne suis pas d’accord avec », si je peux parler comme ça, de la société dans laquelle je vis, ou en tout cas les travers de cette société là. Je ne vais pas hésiter à montrer du doigt ou à faire un constat avec le regard, un certain regard d’artistes. L’important, à mon avis quand on fait de l’art, c’est d’apporter son regard à soi, son regard qui soit différent effectivement, qui soit anti-conformiste, ou qui soit en tout cas original, et c’est vrai que je n’hésites pas à être libre de dire ce que j’ai envie de dire, peu importe ce que l’on en pense, peu importe si ça choque certains… J’espère que ça peut rassembler des gens mais je n’ai pas envie de me priver en tout cas de rentrer dans un certain moule pour vouloir séduire. Encore une fois, j’essaye d’être dans ma vérité et de ne pas tricher, d’être quelque chose de sincère.
Quand on compose, on écrit, on est un peu dans son coin. Je sais que vous avez pas mal tourné, c’est la confrontation avec le public, donc la façon dont les chansons sont reçues. Est-ce que tu as été un peu surpris par ça ? Et la façon dont ça a été perçue ? Est-ce que ça va dans le sens où tu voulais que les chansons soient ou pas ?
Cyril : Oui j’ai l’impression. Sur scène en tout cas, on a déjà un bout d’expérience maintenant avec le groupe. J’ai l’impression quand même qu’il y a quelque chose qui se passe, qui part d’en bas et que l’on reçoit de manière assez forte en tout cas sur scène. Je ne dis pas que dans tous les concerts c’est l’euphorie totale et que c’est le feu d’artifice mais en tout cas on arrive je pense à communiquer quelque chose qui est réciproque, qui ne va pas que dans un sens. On est aussi à l’écoute des gens, c’est ce qui va faire qu’un concert peut s’enflammer et prendre de l’ampleur ou peut-être parfois être un peu plus froid. Mais jusqu’à présent c’est vrai qu’on ressent, je pense que notre univers prend son ampleur sur scène. Et oui jusqu’à présent, je ne me plains pas des émotions qu’on peut ressentir et en tout cas c’est le domaine qui nous convient le mieux.
On a envie de rassembler. Avec votre musique, on pense à Noir Désir. Est-ce que vous vous sentez dans une famille musicale ou en tout cas à un rassemblement de pensée ?
Cyril : Je pense qu’inévitablement, on appartient à cette famille là. Je crois que ça rejoins encore ce que je disais, qui est donc quelque chose de brutal, dans une vérité qui lui appartient, qui ose revendiquer parfois quelque chose, qui ose dire les choses et qui a envie de communiquer quelque chose, qui a envie de rassembler… Pour moi Noir Désir c’est un groupe que j’ai beaucoup écouté aussi. Moi j’ai 22 ans. C’est vrai que c’était le seul groupe rock français qui pour moi a existé et qui est encore d’actualité, qui avaient quelque chose à dire, dont les textes étaient vachement visionnaires aussi, d’actualité. C’est aussi pour moi la qualité d’un poète, c’est de pouvoir prévoir en tout cas, avoir des visions, ressentir ce qui pourrait arriver, ce qui arrive et moi c’est un groupe qui m’a beaucoup marqué.
Cyril : Toujours un peu sur le fil oui. Toujours un peu sur le fil. Pour parler de cette chanson, c’est comment pouvoir matérialiser un petit peu sa révolte. Comment pouvoir effectivement faire passer un message, de quelque chose de collectif, revenir à quelque chose de collectif. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on est vachement dans une société portée sur l’individu, vachement individuelle, porté sur soi, vachement enfermé sur soi, sur ses projets, son avenir, sa réussite… C’est vrai que j’ai l’impression qu’en tout cas, la révolte est moins manifestée de manière collective et c’est un peu ce que j’ai essayé de dire dans cette chanson. Je ne sais pas si je m’exprime très bien en tout cas mais je ne sais pas si tu as quelque chose à rajouter.
Yann : Oui c’est l’idée qu’on a du mal à se rassembler autour de quelque chose et que la question que pose cette chanson c’est justement qu’est-ce qu’il faut faire ?
Cyril : Oui va savoir vraiment ce que l’on veut, va savoir ce qu’on rêve, est-ce qu’on doit foutre le feu ? Est-ce qu’on doit rester statique ? Est-ce qu’on doit rêver ? Est-ce qu’on doit y croire encore ? C’est une chanson de questionnement, qui est sur le fil, qui émet la possibilité qu’un jour, ça puisse vraiment péter et je pense qu’on l’a déjà vu d’ailleurs. Aujourd’hui dans les banlieues ou ailleurs, on sait qu’on n’est pas loin de basculer de l’autre côté. Enfin en tout cas la limite n’est pas infranchissable je pense. Donc continuer à réfléchir, continuer à essayer de trouver des solutions, à trouver ces propres solutions pour trouver sa place dans le monde, son monde.
On a vraiment la sensation dans l’album qu’il y a les questions et les réponses au fur et à mesure, on se pose comme ça de chanson en chanson, parce que là justement par rapport à ce
que l’on vient de dire, Va savoir et puis on arrive à Si rien ne change, on sortira les dents. Il y a un côté comme ça où l’on est non ?
Cyril : Oui enfin je ne peux pas te dire si moi-même, j’ai trouvé les réponses. Donc tant mieux s’il y a une cohérence dans l’album et une évolution dans l’histoire. J’espère mais encore une fois les réponses on ne les a pas, les réponses je ne les ai pas. On essaye de faire avec ce qui nous entoure, on essaye de faire avec ses forces, on essaie de trouver sa place. Voilà nous c’est notre manière de nous exprimer. C’est la musique, c’est l’instant où on se sent le plus en phase avec soimême. Et je pense que chaque personne essaye de trouver sa manière d’exister, sa manière de s’exprimer. Et effectivement quand on n’y arrive pas, ça peut mener à de la violence, ça peut mener à de l’excès. C’est peut-être ce que j’essaye de dire dans « si rien ne change », c’est que effectivement si rien ne change, il est possible qu’on passe de l’autre côté. Et c’est ce qui est déjà arrivé, c’est ce qui peut encore arriver dans l’actualité, et de manière peut-être plus irrévocable qu’auparavant.
Cyril : Dans la conception de la musique qu’on fait, c’est vraiment les textes qui sont mis en musique. Dans un premier temps moi, quand je commence à noircir une feuille, je pars sur quelques phrases, quelques mots et puis en découle une suite et le message de cette chanson va se définir au fur et à mesure. A partir de là, généralement dans la composition me vient une mélodie, qu’on va travailler ensuite généralement avec Yann, qui lui va apporter un peu plus de caractère musical, plus de couleurs. C’est vrai que les sens de la musique qu’on fait, sans vouloir porter atteinte à notre travail, se fondent vraiment autour des textes et la brutalité qu’on peut retrouver dans la musique aussi parce que notre univers est quand même assez rock. C’est en fait ce qui exprime le mieux ce qu’on raconte. C’est encore une fois par rapport à la volonté de former un groupe, ça c’est fait de manière naturelle et là ça vient naturellement du rock parce que le propos, parce que le discours veut ça. Mais peut-être que si on avait dit autre chose, peut-être qu’on aurait modulé et ça aurait été une couleur musicale différente, effectivement le noyau part du propos je pense.
Qu’est-ce qui est rock et qu’est-ce qui représente l’esprit rock aujourd’hui ?
Yann : Rock ça ne veut pas dire grand-chose pour moi parce qu’en fait, on met sous une même étiquette beaucoup de choses. Moi je pense qu’on a envie de dire qu’on est rock juste parce qu’on a une musique qui est basée sur l’énergie, sur une envie de dire les choses, et de les vivre. Après le rock ça peut être une musique dansante. Nous on ne fait pas de la musique dansante. Ca peut être une musique festive, nous on n’est pas une musique festive. C’est donc une étiquette un peu large. Après l’esprit rock, c’est peut-être là où on est un peu plus proche de ça, c’est qu’on a envie d’être un petit peu en marge et de justement ça se rapproche du discours de Cyril, c’est cette idée de ne pas accepter tout ce que la société nous propose de manière définitive et peut-être voir qu’il y a d’autres façons de vivre et de voir les choses. Dans cette marge là, on s’inscrit dans cette volonté d’être un petit peu à côté de ce qu’il y a dans la masse. Après le rock aujourd’hui a perdu peut-être sa fraîcheur première et fait partie du monde du spectacle et de l’entertainment mais je pense que ça reste le mot le plus juste pour définir notre musique, parce qu’il faut la définir, parce qu’on fait une musique brute et que on est une base batterie, guitare donc un groupe à guitare c’est rock !
Si vous avez des références très fortes qui sont plus lointaines, parce que tout à l’heure Cyril tu me disais à un moment donné, vous êtes complémentaires. Avec des écoutes différentes, en quoi vous vous êtes rejoint dans ces références là ? A un moment donné il y avait une référence commune ?
Yann : Je ne crois pas, je crois surtout que la force des textes et des compositions nous a rassemblé autour d’un même propos musical où chacun a pu apporter ses influences et tout s’est fait assez naturellement. On ne s’est pas dit un jour on aime ça, on aime ça, on a qu’à partir dans cette esthétique là. Je pense que les choses se sont faites naturellement. Elles ont pris un peu de temps, puisque le groupe a 3 ans, je pense qu’on a bien mis deux ans à trouver notre identité musicale. A force de composer, d’arranger, de travailler, de faire des concerts etc… Et je pense que ça s’est fait assez naturellement et notamment parce qu’on écoute tous des choses différentes. Au final, c’est une identité qui regroupe toutes les autres, qui se crée donc quelque chose d’un petit peu différent. Enfin j’espère.