Scène française
Grand Corps Malade en interview
L'interview de Grand Corps Malade
Enfant de la ville réalisé par Feedback comporte plus de 16 titres : on retrouve quelques morceaux que Fabien faisait lors de ses dernières scènes Comme une évidence, suite logique de Les Voyages en train ou Mental. Bien évidemment Fabien fait la part belle aux inédits avec en trio avec A la recherche Oxmo Puccino et Kery James, 4 Saisons, Enfant de la ville, Je viens de là, Rétroviseur… Il y a un également un nouveau duo avec John Pucc’Chocolat la personne qui avait fait découvrir le slam à Fabien déjà présent sur Midi 20 avec le célèbre slogan « ça peut chémar ».
Pour ce deuxième album, tout commence par un message un peu guerrier Le mental de résistance…
Oui ça peut être un peu ça. Ce n’est pas forcément guerrier mais c’est un constat qui peut être très bateau et que personne ne peut nier. La vie n’est pas facile tous les jours et quand tu né, tu signes déjà avec un bon nombre d’épreuves qui vont t’arriver, avec un bon nombre de choses qu’il faudra accepter. Des choses pas gaies, des épreuves, les décès dans l’entourage, tout ça. Voilà j’ai écrit ce texte là un jour où je devais trouver que la vie n’était pas rose tous les jours et face à tout ça il faut avoir du coeur et un mental de résistant, c’est un peu la petite phrase qui revient dans ce texte là. Comme c’est un texte un peu dur, un peu lourd, je l’ai mis au début, j’imaginais mal ce texte là en plein milieu de l’album. Pour moi c’est un texte important et la musique je la trouvais très réussie. C’est Petit Nico qui a mis ça en musique d’une manière un peu orchestrale, très musique de film, et je trouve que c’est un début d’album qui démarre un peu dur, un peu fort. J’aime bien.
On a l’impression vraiment que les textes se répondent par rapport au premier. Tu as voulu même insister, essayer de préciser même davantage les choses ?
Il y a clairement des réponses, des fois mêmes ce sont des petites allusions, des petites feintes mais il y a un texte d’amour qui s’appelle Les voyages en train sur le premier album qui n’était pas très optimiste sur l’amour. Chaque texte correspond à une humeur du moment. Il y a un texte d’amour sur le deuxième album plus optimiste, c’est une déclaration où je fais aussi clairement allusion aux voyages en train. Le premier album s’appelait 12h20, dans un morceau qui s’appelle Du côté chance je dis qu’au moment où je finis la tournée il est midi quarante donc c’est vrai que c’est un peu la suite sur plusieurs points, ça peut se répondre oui. Je pense que le public qui a acclamé le premier album et qui m’a un peu suivi en tournée, j’ai fait une très longue tournée, j’ai fait 120 concerts donc du coup je pense qu’on a créé un réel échange avec le public. Du coup ce deuxième album, c’est pour eux, j’ai envie de leur raconter la suite.
Tu as un morceau justement qui est destiné à ça, qui est un peu le bilan de cette tournée et d’ailleurs les réactions des gens t’ont conduit un petit peu dans le cheminement de ta pensée à envisager peut-être justement ce genre de réponse par rapport à l’accueil du premier album ?
Oui c’est ça. Ce n’est pas forcément ce que m’ont dit les gens qui m’ont donné envie, qui m’a donné envie d’écrire ce titre mais c’est peut-être un petit peu prétentieux mais oui je pense qu’aujourd’hui j’ai un public. On a créé un échange, il y a des gens qui sont revenus sur plusieurs concerts. Après les concerts je vais souvent voir les gens. Je vais signer des petites dédicaces, on prend des photos tout ça, j’aime bien prendre le pouls du concert, savoir comment les gens réagissent donc du coup j’ai rencontré plein de monde. 120 concerts c’est énorme. Ça a duré plus d’un an. Du coup les gens m’ont découvert, ont découvert un disque, m’ont découvert sur scène, ils m’ont donné beaucoup. Je dis dans le titre voir un public se lever on en prend jamais l’habitude. Le public s’est levé après chaque concert. Ils m’ont applaudi, ils m’ont vraiment donné beaucoup. Du coup j’ai encaissé pas mal de choses durant cette tournée. J’ai eu envie de leur raconter ça. C’est vraiment pour eux que j’ai écris ce texte et que j’ai eu envie de raconter mon petit bilan sur ces deux années un peu folles, sur cet album, sur cette tournée, j’ai eu envie de leur raconter comment j’ai vécu la chose.
Tu as eu des réactions étonnantes ?
Oui il y a des choses différentes. C’est vrai qu’il y a des gens qui ont pu comparer mes textes à des livres, à des histoires, d’autres à des films. D’autres qui me disent « Dans tes textes, je vois pleins d’images dans la tête quand je les entends« . C’est vrai que chacun a son parcours et chacun interprète les textes à leur façon. Moi ce sont souvent des textes qui parlent de ce que je connais bien, des fois qui sont très autobiographiques, ou qui parlent de mon environnement proche. Finalement même si je parle plutôt de moi, je pense que tout le monde peut se retrouver dedans parce que à peu de choses près on vit un peu tous les mêmes choses, on a tous des galères, on a tous des envies, on a tous des histoires d’amour, on a tous des potes, et même si c’est mon petit univers que je raconte, j’ai compris que les gens se retrouvaient pas mal dans mes textes. Et ça je ne l’invente pas, ce sont des gens qui me l’ont dit, ça m’a fait vraiment plaisir, j’ai eu plein de beaux témoignages sur tel texte, sur des choses très précises, des gens qui me disent : « Tiens ce texte là j’ai l’impression que j’aurais pu l’écrire » ou « Tiens ce texte là, j’ai l’impression que tu racontes ma vie« . Tu vois ces choses là c’est ce qui me touche le plus et voir que mes petits textes que j’écris chez moi sur ma petite table, finalement ils ont un écho large et voilà ça touche.
Est-ce que certains ont écrit leur propre histoire à partir de tes textes en s’accaparant finalement ton histoire personnelle qui est devenue tout à coup universelle mais avec des particularités ?
Oui, je pense ! Je continue à slamer dans des petits bars, et j’entends plein de textes, j’entends plein d’histoire. Quand je rentre chez moi je n’ai qu’une envie, c’est prendre mon stylo. C’est vrai que notamment sur des petites scènes slam, des gens que je ne connais pas du tout, il y en a certains qui ont repris le concept de 12h20, ils ont raconté leur journée à leur façon. A telle heure, il lui ait arrivé ça et puis voilà le même concept sur une vie à l’échelle de 24h donc voilà c’est vrai que ça a fait des petits, ça donne des idées, j’ai entendu des petites parodies des voyages en train, voilà ce sont des petites choses, ça fait plaisir parce que tu sens que tu as touché les gens, que tu as eu ton petit impact. Moi je le prends de manière assez forte, c’est-à-dire que tous ces témoignages là ça fait vraiment chaud au coeur, ce n’est pas rien. Au départ, quand t’écris juste pour toi et que tu te rends compte que finalement tu as un auditoire tellement large, que tu te rends compte que quand tu vas à 1000 km de chez toi faire un concert, il y a plein de gens qui sont là qui t’attendent, moi je découvre tout ça et ce n’est pas rien, ça fait vraiment quelque chose.
Dans cet album, tu es revenu aux origines de ton aventure musicale. Donc en parlant de ce premier café slam, tu t’en rappelles encore ?
Oui bien sûr.
Tu as senti une évolution depuis ce temps là ?
Pas vraiment il y a une évolution naturelle qui est juste l’expérience. Plus tu écris, plus tu progresses comme n’importe quel sportif. Plus il tape dans une balle au tennis, plus il progresse. Il y a des automatismes qui se créent, après il y a une exigence qui se crée donc je pense que j’écris les textes toujours plutôt de la même façon mais je fais attention à ce que je fais. Oui peut-être qu’il y a une exigence qui s’est créée et puis j’espère continuer de progresser. Mais maintenant il n’y a pas eu forcément beaucoup de changement. J’écris toujours de la même façon. J’écris toujours à capella, sans musique, selon l’humeur du jour. J’écris toujours là où ça me prend.
Où par exemple ?
Ça peut être chez moi, ça peut être la nuit, ça peut être l’après-midi à une terrasse de café. J’écris toujours avant tout pour faire de la scène c’est-à-dire le texte au moment où je l’écris, je me vois déjà en train de le faire sur scène et notamment surtout sur une petite scène dans un petit bar, je commence toujours par aller défendre mes textes sur ces lieux là. Je n’écris pas pour faire un album. Le deuxième album je l’ai écrit comme le premier, c’est-à-dire pas dans le but de l’enregistrer. J’écris régulièrement donc j’ai plein de textes. Au moment de faire l’album, je choisis une quinzaine de textes. Mais au moment de l’écriture de ce texte, je ne pensais pas à l’album. Donc j’essaie de garder cette spontanéité là, cette fraîcheur là. Je ne vais pas mentir… évidemment qu’inconsciemment quand j’écris un texte et que je sens que je l’aime bien, je me dis tiens il sera sûrement sur le deuxième album. C’est évident ! Mais j’essaie de continuer à ne pas changer ma manière de faire depuis 5/6 ans quand j’ai découvert le slam.
Un thème super important dans cet album c’est la banlieue, cette banlieue d’où tu viens, où tu es franchement enraciné… On sent que tu avais envie de planter les racines pour l’expliquer.
Oui pour dire la vérité ce texte là, il m’a été clairement inspiré par les journalistes. Sur le premier album, j’ai fait un texte qui s’appelait Saint-Denis. Ce n’était pas un texte revendicatif. Ce n’était pas un texte sur la banlieue. C’était une petite déclaration d’amour à la ville dans laquelle j’ai grandi, là où j’habite toujours. Je parlais de mon petit marché, je parlais de mon petit café culturel. Puis des petits détails propres à Saint-Denis, ce n’était pas un texte sur la banlieue. C’était sur là où je vis. Derrière, Saint-Denis est en banlieue donc on m’a posé énormément de questions.
On m’a posé des questions sur la banlieue pendant 2 ans, des fois hallucinantes. Comme si vraiment c’était un territoire qui n’était pas en France ou qui n’était même pas sur la planète Terre. Même des journalistes qui voulaient bien faire, me posaient des questions qui essayaient d’être positifs sur la banlieue qui limite disaient « mais en banlieue il y a des associations ? » Oui il y a même des boulangeries. Voilà des choses que j’ai trouvées un peu bizarre parce que je n’avais pas l’habitude qu’on me pose des questions sur la banlieue parce que quand tu as grandi en banlieue tout ça paraît naturel.
Du coup le texte, Je viens de là, m’a été inspiré par toutes ces questions là. J’ai eu envie d’enfoncer le clou et de dire une fois pour toute « oui la banlieue c’est ça« , ce sont des choses pas roses. De la misère, de la violence, mais c’est aussi plein d’énergie, plein de caractère, plein de choses auxquelles je suis attaché, plein de vie et au final c’est un lieu comme un autre pour lequel on est chauvin.
Je suis fier de venir de là. J’en parle. J’aime en parler. Mais finalement c’est partout pareil. A Paris il y a souvent les mêmes problèmes qu’en banlieue. J’ai voulu dire qu’au final, arrêtons de diaboliser ou d’en faire des tonnes et je finis par ça sur le texte. Tu vois bien que c’est comme tout endroit sur terre. C’est juste une petite région qui a un sacré caractère donc voilà un peu l’histoire de ce texte.
Devant le succès du premier album, est-ce que tu n’as pas eu peur de la récupération politique ? Cela t’as renvoyé quelque part une certaine responsabilité dans le propos ? Est-ce que tu as fait attention à ça ?
La responsabilité dans mes propos, je l’ai toujours eu c’est-à-dire même si je slamais devant 15 personnes dans un bar, à partir du moment où tu as un auditoire, je n’ai pas envie de raconter n’importe quoi. J’ai toujours ressenti cette responsabilité de dire des choses qu’on peut assumer derrière. Aujourd’hui j’ai un auditoire beaucoup plus large, je fais des grandes tournées, le disque sera sûrement entendu un peu partout en France. Ça n’a pas changé. Je fais toujours attention à ce que je dis. J’ai envie de pouvoir assumer et défendre mes propos donc cette responsabilité elle n’a pas changé. Maintenant la récupération politique oui j’y ai un peu pensé, on m’a aidé à y penser parce que forcément avec les présidentielles, les municipales… J’ai comme beaucoup été contacté pour aller soutenir un tel ou un tel et je n’ai pas envie de le faire.
Je pense que je suis très intéressé par le monde politique. J’ai un sens civique assez développé. Mais je pense que ce n’est pas mon rôle d’aller appeler à voter pour un tel ou un tel, je ne me sens pas légitime pour le faire. Je pense que chacun à sa manière de faire de la politique. Moi peut-être que dans mes textes qui ne sont pas les plus militants du monde loin de là, les plus engagés, mais je défends quand même quelques valeurs, quelques notions donc c’est peut-être ma petite manière à moi de faire de la politique dans les disques ou sur scène. Et puis après si je fais de la politique à la limite c’est plus au niveau local. Moi au niveau local je suis dans des associations, j’essaye de m’occuper de 2/3 trucs. Pas forcément sous les projecteurs mais ce n’est pas moi qui irais servir la soupe ou serrer les mains sur les podiums politiques, parce que je ne me sens pas légitime pour le faire. Je ne pense pas que les politiques soient plus crédibles d’avoir un tel ou un tel dans leur comité de soutien mais bon ça n’engage que moi.
Alors il y a un titre live, dans cet album ?
Oui. Il y en avait déjà un sur le 1er album. Il y avait Ma tête, mon coeur et mes couilles qui étaient pris en live dans un petit café. Je viens du slam. C’est un art a capella, c’est un art live, il faut qu’il y ait un auditoire pour qu’il y ait du slam. Pour moi ça n’a pas de sens de dire que c’est un disque de slam parce que à partir du moment ou ce n’est plus de l’a capella, à partir du moment ou ce n’est pas du live, à partir du moment ou ce n’est pas le partage de la scène avec plein d’autres slameurs, pour moi ce n’est plus vraiment du slam. Je suis un slameur, donc je veux qu’on retrouve quand même des notions de slam sur le disque. Même si je vois ça vraiment comme un projet autre que le slam, je continue de slamer dans des bars, je continue à animer des ateliers slam. Pour moi le disque, la tournée, avec les musiciens c’est autre chose. C’est un autre projet. Je suis un slameur qui a un projet musical. Mais dans ce projet musical, j’aime bien avoir des petites notions, montrer un peu ce que c’est que du slam et donc je voulais mettre en live, capter en live un texte a capella sur scène.
Sur ce titre en particulier tu joues vraiment c’est-à-dire qu’à un moment donné, tu fais une pause, il y a quelques respirations, tu aimes ça ?
C’est la force de l’a capella. Quand tu as de la musique, c’est souvent que tu as un rythme et tu es obligé plus ou moins de suivre le rythme. L’a capella c’est ça qu’il y a de particulier c’est que tu peux laisser le public réagir, tu peux t’arrêter, tu peux accélérer quand tu sens que c’est important d’accélérer, et puis tu peux laisser des silences quand tu sens qu’il faut en laisser. Et bien voilà l’a capella ça permet ça. Et dans ce texte là qui est en plus un texte drôle, qui est clairement à vocation humoristique pour essayer de faire rigoler un peu le public, oui là je joue un peu avec le public. On l’entend, la captation s’est faite sur mon micro. Il n’y a pas de micro dans la salle. On entend des rires au loin. Et c’est un texte qui marche bien sur scène où le public rigole donc voilà je peux laisser parler le public. Je peux le laisser réagir. L’a capella permet ça oui.
Il y a un vrai travail dans cet album au niveau musical. On a l’impression que tu as cherché l’écrin qui allait parler au mieux ou en tout cas servir au mieux le texte sans le perturber ?
Voilà c’est vraiment l’objectif comme je vous dis à la base j’écris sans musique. Pour moi le texte c’est le plus important, la musique est là pour l’accompagner, pour le soutenir, pour l’habiller. Et donc la musique se fait sur mesure sur le texte. Et autant sur le 1er album on avait fait ça très vite, pratiquement avec le même compositeur, sur tous les titres autant là on a eu plus de temps alors on a gardé ce même compositeur mais il y en a eu d’autres. On a eu plus de temps, on a eu plus de moyens, on a fait venir des musiciens en studio, de bons musiciens donc du coup je pense que la musique est bien travaillée, elle est précise, elle est chiadée mais moi je suis très content de la musique, tout ça a été un peu orchestré et réalisé par un feedback qui est le percussionniste sur scène et qui est aussi multi instrumentiste, compositeur, arrangeur, et qui a fait un super travail. C’est lui qui a chapeauté un peu tout ça. Et la musique est plus variée que sur le 1er album. Il y a plusieurs couleurs, il y a des choses très intimistes, voix piano, piano accordéon, et puis il y a des choses plus rythmées, il y a des cordes, il y a des percus, enfin voilà il y a plusieurs couleurs parce que sur les textes il y a plusieurs couleurs. Tu vois quand je fais un texte un peu revendicatif ou un texte très calme ou un texte plus dur ou un texte plus drôle, eh bien forcément la musique doit accompagner l’humeur de ce texte, donc il y a plusieurs humeurs musicales aussi.
Tu aimes bien l’idée qu’on écoute ton album un peu comme on serait devant sa télé. Ou plutôt même en regardant un DVD, de pouvoir mettre sur pause à un moment donné, et puis ensuite d’accélérer ?
Oui je pense que et là je ne parle pas que de mon album, je pense qu’il y a des albums comme ça, que ce soit de la chanson dite à texte que ce soit du rap français ou il y a des beaux textes, que ce soient d’autres slameurs, je pense que c’est des disques qui nécessitent une écoute attentive. Tu ne peux pas mettre ça en fond sonore, c’est très bavard, je raconte des histoires, donc tu ne peux pas mettre ça en bouffant avec ton pote et tu vois en l’entendant de loin donc oui ce sont des choses où j’aime bien imaginer que les gens s’arrêtent pour l’écouter et pas forcément écouter d’une traite mais faire des pauses pour aussi encaisser le texte qui vient de passer, essayer de digérer. Je pense que ça mérite une écoute attentive oui.
Est-ce que pour toi c’est un moyen, c’est un peu comme la Madeleine de Proust ? On a l’impression qu’avec le stylo, tu arrives à définir tes souvenirs avec précision… Comment se passe le processus pour arriver à cette précision là ?
Je ne sais pas alors déjà moi je suis, je le dis dans un texte un grand nostalgique. Et même si je ne suis pas bien vieux, je suis déjà nostalgique de l’enfance, de l’adolescence donc c’est vrai qu’il y a déjà pas mal de souvenirs dans cet album là. Que ce soit le début du slam, il y a un texte qui s’appelle Rétroviseur où je parle de mon enfance, mon adolescence tout ça. Et c’est vrai que tout souvenir, ce sont des petits détails. Après reste à essayer de mettre les mots dans le bon ordre pour de manière synthétique arriver à toucher ce petit détail là. Il y a un texte qui s’appelle 4 saisons où je raconte juste des petits ressentis, qu’on vit tous sur chaque saison. Voilà les petits détails qui font que l’hiver c’est l’hiver, les petits détails qui font que l’été c’est l’été. Ce que l’on ressent, ce que l’on voit, tout ça. C’est un texte où je prends juste des petits détails pour essayer de peindre un tableau qui ressemble à chaque saison. Donc voilà j’essaye d’avoir le sens du détail puisque pour moi c’est important.
Tu sentais que tu avais un destin qui était à accomplir à un moment donné, on va dire tu aurais pu vivre une autre vie. Tu as cette sensation et tu le dis d’ailleurs dans un des textes par rapport au basket, le sport qui aurait pu être ta voix, qui aurait pu te détourner de la musique ?
En fait je n’ai pas trop choisi. J’étais très sportif. Je ne faisais que du sport. Bon voilà j’ai eu un grave accident qui m’a obligé à prendre un virage à 90°. Donc je ne sais pas si j’avais un destin tracé, je ne sais pas si je crois vraiment à ces choses là. Comme tout le monde, une vie est faite de pleins d’accidents de parcours, de virages. Il se trouve que je m’orientais plutôt vers une carrière sportive ou en tout cas liée au sport. Je n’étais pas non plus, je n’allais pas jouer dans l’équipe de France de basket, je ne pense pas. Mais en tout cas voilà, je voulais être prof de sport, je faisais beaucoup de basket, à un petit niveau national, tout ça. Et bon voilà, les choses ont fait que j’ai dû me reconvertir. Et que les hasards de la vie ont fait que j’ai découvert le slam. Et que ça m’a parlé tout de suite et que j’ai eu la sensation de me sentir à ma place là dedans. Et aujourd’hui je suis super heureux d’avoir retrouvé une vraie passion qui me donne envie de me lever le matin, d’avancer, qui me donne pleins de projets donc après je ne sais pas si tout ça était écrit et je ne sais pas si c’est le mectoum mais en tout cas voilà c’est sûr qu’il y a eu des virages.
Alors comment ça Grand Corps Malade qui a pris la grosse tête ? Je ne comprends pas.
Oui c’est un texte je ne sais pas, je l’ai écrit un jour où j’étais de bonne humeur. J’avais envie de déconner là-dessus. J’ai entendu une fois, ce n’est pas trop arrivé parce que en fait je suis encore très proche du milieu du slam, je suis encore à fond dedans. Tous mes potes slameurs avec qui on a commencé, je les vois toujours, je slame avec eux. Quand je fais des scènes, j’ai eu l’occasion de faire l’Olympia, le Palais des Congrès, il y a toujours plein de slameurs sur cène, dans la salle qui interviennent. J’essaye de partager le truc avec eux.
Je n’ai pas eu trop de critiques malgré le fait que je passe à la télé et que ça marche pour moi et tout mais j’ai entendu une fois un slameur que je ne connais pas très bien d’ailleurs qui disait oui de toute façon Grand Corps Malade, il ne joue plus dans la même cour que nous, il passe à la télé, il slame à la télé, donc voilà tu vois comme si ça m’a plutôt fait rire, je ne l’ai pas mal pris, comme si le fait de passer à la télé ça faisait tout de suite de toi quelqu’un de pas bien. Tu vois comme si t’avais changé toutes tes valeurs et trahis tout ton monde parce que t’avais slamé à la télé.
Du coup j’ai fait un texte qui s’appelle Underground parce que je connais aussi bien ce milieu là, des gens qui se disent de l’underground, qui refusent toute exposition alors que tu ne sais jamais si c’est parce qu’ils n’ont pas la possibilité d’être exposé où si tu vois donc c’est toujours un peu ambigu donc voilà j’ai fait un petit texte, une petite connerie comme ça où je dis « underground c’est dans la tête ». Et à la fois je vanne un peu ceux qui veulent rester underground à tout prix et puis je vanne aussi beaucoup le petit monde du show biz dans lequel je fais croire que j’ai basculé. Et je dénonce, enfin je chambre un peu les attitudes très show biz voilà de faire la bise à tout le monde, d’avoir que des amis qui passent à la télé. Un petit texte rigolo.
Quand on te voit Fabien, quand on t’entend slamer, il y a une grande sérénité chez toi. Est-ce que c’est dû aux épreuves de la vie, on va dire ta philosophie ? Que tu t’appliques un peu au jour le jour ? Et surtout est-ce qu’il y a quelque chose qui feras en sorte que tu sois hors de toi ?
Oui je suis quelqu’un d’assez serein. C’est je pense une vraie nature à la base. Les accidents de parcours je pense ont renforcé cette nature là. J’ai une bonne tendance à prendre du recul sur les choses, à me poser, à être plus réfléchi, qu’impulsif tout ça. Donc il y a plein de choses dans la vie qui me dégoûtent, qui me foutent la rage, avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Mais je vais sûrement intérioriser beaucoup et je vais en parler de manière posée et tu ne me verras peut-être pas forcément hurler donc voilà c’est vraiment ma nature.
Il n’y pas un sujet sur lequel vraiment il ne vaut mieux pas aller ?
Non, non je pense que même si ce sujet existe, je pourrais en discuter calmement.
Est-ce que tu pourrais militer pour une épreuve du bac slam ?
Tout de suite j’avais envie de te dire oui, mais après je me suis dit « mais attends est-ce que du coup le slam resterait aussi ludique ? » donc du coup j’ai eu envie de te dire oui puis je me suis auto censuré. Mais d’une manière générale oui. Parce que moi je fais beaucoup d’ateliers slam, d’ateliers d’écriture avec des jeunes, avec des retraités. Je fais des interventions dans beaucoup d’écoles, dans des prisons, dans des centres sociaux, dans des hôpitaux. Je tiens vraiment à toujours garder le contact. J’aime le slam, j’aime en parler donc j’aime bien le faire découvrir aux gens. Et puis surtout j’aime bien faire écrire les gens. C’est vraiment ce que j’ai découvert dans le slam, c’est que tout le monde peut écrire, tout le monde a accès à s’exprimer en jouant avec les mots. Mais les gens ne le savent pas forcément. Et moi je regrette qu’à l’école on ne m’ait jamais fait écrire un poème.
Evidemment j’ai fait des dissertations, des rédactions comme tout le monde, mais on ne m’a jamais demandé de jouer avec les mots, on ne m’as jamais montré l’écriture sous un aspect vraiment ludique. Et c’est ce que je défends dans tous les ateliers slam, montrer que c’est rigolo de donner des thèmes, d’essayer de faire des rimes, des jeux de mots, tu vois d’écrire en groupe, de créer une émulation. Je sais qu’aujourd’hui il y a pleins de profs de français qui montent des ateliers slam, qui font des concours de slam, et donc oui ça slame à l’école. J’ai même appris, avec surprise et fierté qu’il y a certains de mes textes qui étaient au bac français dans certaines académies et je n’en revenais pas. J’étais le premier surpris mais voilà super fier de tout ça. Et donc du coup peut être que si le slam rentre à l’école, au moins il va permettre ça, il va permettre aux jeunes, aux enfants de se dire, oui moi aussi je peux écrire de la poésie tu vois. Ce mot qui fait un peu flipper à la base qui a été une insulte pour moi pendant tout le temps où j’étais à l’école tu vois. Oui montrer que la poésie, ce n’est pas un truc poussiéreux, ça peut être marrant, ça peut être moderne, et ça peut être la classe d’écrire des poèmes finalement, et donc voilà peut-être que le slam peut permettre ce changement d’images et peut permettre aux jeunes de s’approprier un peu tout ça.
Alors après la rue Apollinaire, peut-être bientôt une rue Grand Corps Malade ?
Non tranquille, doucement. Déjà que je prends la grosse tête, je vais devoir dire comme qu’underground c’est dans la tête. Non pas tout de suite ça va.
Label : AZ / Universal Music France