pop-rock
Interview Bruce Springsteen
Découvrez l’interview exclusive de Bruce Springsteen sur Zikeo.
Interview Bruce Springsteen : A l’occasion de la sortie du dernier album du Boss, « Working on a dream », Zikeo vous propose une interview exclusive de la légende du rock.
Votre dernier album « Working on a dream » est très éloigné du votre style musical – Quelle était la motivation, l’impulsion derrière ce changement, que cherchiez-vous à transmettre ?
Je n’ai pas écrit comme ça depuis très longtemps et je suis fan de ce style de musique. J’adore les grandes productions pop des 60s, les « Righteous Brothers », « Walker Brothers ». J’aime ces grands disques romantiques et, je me suis donc dit, « eh bien, c’est quelque chose que je n’avais pas encore tenté« . Donc, quand je me suis remis à écrire, c’était en quelque sorte un filon inexploité qui m’attendait avec un potentiel illimité. Je me suis mis à écrire pleins de trucs très vite et je me suis dit, ces chansons romantiques, c’est d’abord de grandes mélodies, je vais donc les chanter avec plus de puissance, une puissance que j’avais en quelque sorte mise de côté pendant très longtemps. Je voulais aussi des morceaux plus orchestraux. C’est vraiment devenu un point de départ pour la direction que j’ai voulu prendre. Avec chaque disque, tu cherches à élargir ton horizon, te diversifier par rapport à ce que tu as déjà fait, musicalement parlant ; agrandir ta vision en quelque sorte. Tout ce que j’essaie de faire maintenant, c’est une musique bien réfléchie, des disques travaillés à fond, offrir à mon public quelque chose d’inspiré des temps actuels mais aussi qui leur parlent, qui les touchent dans leur vie quotidienne. C’est aussi un disque drôle, dans le sens où tu y retrouves des éléments de tous mes anciens CD, mais en même temps si tu possèdes mes plus vieux albums, cela ne veut pas dire que tu as celui-là…!
Vous travaillez avec Brendon O’Brien depuis « The Rising », il est de nouveau présent sur votre dernier album tout comme le E-Street Band. Le fait de savoir que vous travaillez avec ces gens là, change-t-il votre manière de travailler ?
Fondamentalement ça va être un disque Rock, le public reconnaîtra le style du E Street Band, mais avec un peu de chance, il ne s’agira que d’une extension de leur son. C’est en gros ce que Brendon O’Brien nous a donné : une manière d’inscrire notre musique dans le présent. Au cours des années 90 j’ai eu du mal à trouver un son et un but pour le E Street Band, ce qui explique ce long break durant cette période. Je me suis demandé ce que j’allais faire avec ce groupe, j’avais des doutes. Ce que ça donne maintenant, je ne pourrais vraiment pas l’exprimer. Je ne veux pas faire celui qui se la joue en affirmant qu’à une époque, on était au top, je ne sais pas trop comment définir ça. Pendant la tournée où l’on s’est remit ensemble, j’ai écrit Land of Hope and Dreams et American Skin. Je me suis dit que ces deux chansons son aussi bien que n’importe quelle autre que j’ai pu écrire pour le groupe par le passé, elles auraient pu être sur « Darkness on the Edge of Town », comme sur « The River ». En bref, sur n’importe quel album que les fans considèrent comme des classiques de l’époque. Donc ok, j’arrive toujours à écrire pour le groupe. Après la tournée, on s’est remis en studio mais, on les a supprimés. C’était pas ce qu’on voulait. Tu sais, on n’avait plus de carbu, plus d’options, plus de nouvelles idées. C’était comme si on s’était retrouvés face à un mur.
C’est dans ces moments là que Brendon O’Brien est utile pour vous ?
La plus grande part de ce que je fais est d’abord écrit pour le public. La première personne dans ce public, c’est moi. [Rires]. La deuxième, tu sais, très souvent c’est les autres membres du groupe. C’est eux mon premier public quand j’écris quelque chose de nouveau. C’est de là que vient mon premier feedback. Avec Brendon j’avais une autre personne devant moi, une nouvelle critique avec des racines différentes des nôtres. En plus il est un peu plus jeune que nous tous, il a un langage différent, qui n’est pas seulement imprégné de nos propres inspirations musicales. Il était au contact de la scène musicale actuelle, mais il connait aussi toutes nos références. Mais, il avait plein d’autres trucs, il nous a apporté ses références musical qui étaient différentes des miennes. Il nous a permis de renouveler à nouveau notre bail dans le monde du disque. Si tu n’as plus d’idées va trouver quelqu’un qui en a. [Rires]. En gros, tu trouves quelqu’un qui en a et tu les intègres à ta propre créativité. Brendon avait une idée concrète de comment enregistrer le groupe de manière puissante et actuelle tout en respectant l’identité même du groupe. Depuis le cap de mes 50 ans écrire, est devenu très, très, euh, je ne veux pas dire facile, mais disons que ça a été fructueux. J’ai eu une vraie période prolifique. Et, une grande partie est due au fait que je sais que si je vais écrire quelque chose de bien, j’ai quelqu’un qui va en tirer un son génial..!
Interview Bruce Springsteen : L’amour et la mort au centre de son nouvel album
Y a-t-il un thème particulier sur cet album ?
Je suppose qu’il traite de l’amour et de la moralité. Il y a cette chanson This Life, mais aussi une autre Kingdom of Days, qui sont des chansons qui abordent l’amour éternelle. [Rires] Patti et moi sommes ensemble depuis vingt ans, c’est long, mais en fin de compte, c’est passé à la vitesse de la lumière. On a vécu une foule de choses ensemble. Tu arrives à un moment dans ta vie où tu te dis qu’elle est déjà à trois quarts finie. Au final tu te rends compte que tu as vécu une bonne parcelle de ta vie, et qu’une grande partie nous l’avons passée ensemble. En plus, il y a l’élément cosmique [Rires] qui commence à s’infiltrer dans votre relation quand vous vous projetez dans le futur et vous en apercevez la fin. Tu pense « Wow », la musique Rock est ancrée dans l’éternel présent.
Par exemple ?
Quand j’étais plus jeune, son message primaire c’était le présent, le présent, le présent. Vie pour le moment présent, je crois que c’est une des raisons qui expliquent pourquoi avec le groupe quand on monte sur scène, on veux absolument s’accrocher au présent [Rires]. C’est le sens de l’immédiat, l’urgence que t’essaye de communiquer. Les gens doivent saisir leurs propres présent. Pour moi, c’est un élément fondamental de ce que représente la musique, l’instant doit être comme une bouffée d’oxygène pour tous les moment qu’on est en train de vivre. Tous les grands disques me remplissent de cette soif de vie. Que se soient les miens, des disques Punk, romantiques ou pop… Tout ce que je sais c’est que quand j’aime un disque, cette sensation m’envahit. Cette haleine de vie… De l’immédiat, oh ouais, tu sais, c’est comme un carburant qui te recharge pour te fait aller de l’avant. C’est le but essentiel de la musique, comme les chansons mythiques des Beach Boys ou le meilleur de la musique Punk. Elles remplissent toutes cette même fonction. Ça fait partie de l’essence de la musique Punk quand elle était au sommet… Il n’y a jamais assez pour subvenir au présent.[Rires]
Votre nouvel album commence avec la chanson Outlaw Pete, une vieille fable de cow-boy. D’où vous est venue l’idée ?
Une des premières choses que je me suis dit quand nous avons commencé à écrire quelques unes des chansons, c’est que je voulais faire un peu d’opéra. Je n’avais pas tenté un truc comme ça depuis longtemps, c’est un peu Jungleland ou un truc dans le genre. Ca m’a fait repenser à plein de disques du style « Heroes and Villains » mais surtout à l’histoire que me racontait ma mère, celle du Cowboy Bill : « Of all the hands on Bar-H Ranch, the bravest was-young Cowboy Bill. ». Je me suis dit, c’est exactement ça Outlaw Pete! Donc j’ai commencé à écrire en m’inspirant du style des frères Cohen: Ce petit gamin qui braque des banques [Rires] en criant à qui veut l’entendre qu’il est Outlaw Pete. Tu comprends. [Rires]. Je me suis dit que c’était une bonne réplique mec: « Je suis Outlaw Pete, tu vois… ! ». Toute sa vie, il se forge une identité et il pose toujours la même question à tout le monde : « Est-ce que tu m’entends ? » Il veut savoir s’il existe, si on le reconnaît ! Et ça transforme la chanson en une quête d’identité, et ça c’est quelque chose qui se retrouve dans pas mal de mes trucs… on est un peu pareil lui et moi dans ce sens. La chanson commence comme une farce mais finit assez tragiquement. C’est assez dur à expliquer du fait de nos similitudes [Rires] quand j’y repense. Mais, c’est pas moi !
C’est un peu comme si le passé ne s’est jamais réellement passé ?
En fait le truc c’est que le passé est toujours avec nous. Le passé vient et te dévore, t’enlèves du présent, vole ton avenir. Donc, en gros la chanson parle de ça, de cette expérience que traverse Pete. C’est de cette situation dont la chanson parle. Pete essaye d’avancer, de faire les bons choix et il se réveille après avoir eu une vision de sa propre mort. Il prend conscience que la vie est quelque chose qui inexorablement prendra fin un jour… L’ idée du temps qui passe ne me quitte jamais. Donc, il fuit vers l’Ouest où il s’installe. Mais le passé fini par le rattraper sous la forme d’un chasseur de prime [Rires] possédé par la seule idée de l’attraper. [Rires] Donc, ces deux créatures possédées, similaires en fin de compte, se retrouvent sur les berges de la rivière où, bien entendu, le chasseur de prime est tué, mais ses derniers mots sont : « tu ne peux pas échapper à ton passé. » En d’autres mots, c’est ton bagage, il représente tes péchés, et tu les traînes toujours avec toi. T’as intérêt à apprendre à vivre avec. Si tu ne leur prêtes pas d’attention, ton futur sera envenimer par la toxicité de ton passé et de tes péchés.
Qu’est-ce qui ce cache derrière une chanson comme Queen of the Supermarket ?
Ils avaient ouvert ce grand, magnifique supermarché près de là où nous vivions. Patti et moi on y allaient [Rires] et, je me rappelle, je n’y était pas allé depuis longtemps. Je me souvient en y entrant avoir pensé: « Wow, c’est vraiment spectaculaire comme endroit [Rires]. C’est Neverland ! ». Donc, quand je suis rentré à la maison, c’était comme une révélation, le supermarché, c’est fantastique, c’est mon nouvel endroit préféré. Tu vois, il fallait que j’écrive quelque chose dessus. Là, je me suis mis à faire la chanson Queen of the Supermarket parce que bon, s’il y a un supermarché avec toute ces choses dedans, faut bien qu’il y ait une reine. En fait, si tu y va, tu te rends compte évidemment qu’il en a des millions mais, c’est aussi une chanson qui rend hommage à la beauté quand elle est ignorée, quand tu ne lui prêtes pas forcément attention. En gros, c’est quelque chose que j’ai fait pour m’amuser, mais en même temps ces produits, y’a des gens qui ne vivent que pour pouvoir se les offrir.
Qu’est-ce vous inspire quand vous écrivez des chansons ?
Martin Scorsese a dit une fois, que le rôle d’un artiste est de faire que les gens s’intéressent à vos obsessions, qu’ils en fassent les leurs jusqu’à les vivre par eux-mêmes. T’essaye toujours de recréer ça, tu sais. Quand tu deviens un avec ton public, c’est que tu le fait bien ; mais quand vous divergez… Il est temps de ressortir le mode d’emploi. Donc quand je passe de « The Gost of Tom Joad » à « Nebraska », je suppose toujours que mon public et moi resteront sur la même longueur d’ondes. Faut les captiver quand tu racontes une histoire. C’est ça mon job, l’interminable recherche du beau, de jour en jour. Si t’écoute un des CD des Beatles, disons un de leurs premiers. Les paroles sont incroyablement simples.
Pourquoi sont-elles restés si magiques ?
Tout d’abord, les chansons sont magnifiquement bien chantées, très bien jouées et leurs thématiques est juste élégante. Elles ont gardés cette forme d’élégance et c’est cette même notion que tu essayes de respecter quand tu écris. J’ai essayé de dégager beaucoup d’aspects différents en faisant mon dernier album. Une sorte d’élan créateur que tu pourrais comparer au courant d’une rivière. Ce n’est pas ce que tu vois à la surface, mais plutôt un courant souterrain. Tu sais qu’elle est là mais pas devant tes yeux. C’est un disque drôle, qui te travaille, il faut l’écouter deux ou trois fois pour vraiment comprendre son côté underground.
De quoi parle la chanson Kingdom of Days ?
Kingdom of Days parle du temps, parce que je suis assez vieux pour m’en inquiéter un peu. [Rires] Pas trop, mais un peu quand même. L’ensemble des premiers vers sont, « comment le temps se fige quand tu es en face de quelqu’un que tu aimes » à un certain moment, tu sais. Comme si l’amour existait au-delà de l’espace temps. Je crois dure comme fer à cette notion, je porte beaucoup de monde dans mon cœur qui ne sont plus là, donc pour moi, l’amour transcende le temps. Ces « marqueurs » du temps qui divisent les jours, les mois, les années ; quand tu prends de l’âge, et que tu te retrouves devant quelqu’un que tu aimes ou que tu apprécies, ces marqueurs semblent perdrent de ce pouvoir terrifiant.
Cette chanson traite aussi de la notion d’un amour idéal qui doit, à un moment ou un autre, faire face à la détérioration,…la détérioration physique. Les derniers vers, quant à eux, parlent de ça, le fait de prendre de l’âge. Tu peux commencer en regardant le visage de l’autre. Tu n’y verras pas seulement le passé et le présent, mais tu peux aussi y voir le futur. Nous savons tous à quoi nous en tenir.