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Tiken Jah Fakoly
Interview Tiken Jah Fakoly
Tiken Jah Fakoly a donné un concert évènement dans la salle de Château-Rouge à Annemasse, le 19 septembre 2009. Zikeo.net était présent sur place et en a profité pour cuisiner ce chanteur engagé.
Ani sogoma ! Je m’introduis en deux minutes. Je suis belge, j’ai connu ta musique il y a dix ans dans une cour à Ouaga en écoutant RFI et depuis je dois dire que tout ce que tu racontes nous guide – je dis « nous » parce que ça touche toute ma famille (ma femme est engagée dans les migrations, ma fille est née en Ethiopie, je suis photographe … enragé d’Afrique de l’Ouest). C’est ce qui fait que c’est pour moi un grand honneur et un grand plaisir de me retrouver face à toi. D’abord je voudrais te parler de – non, que tu nous parles de – « Un Concert, une Ecole », parce que, ce que j’aimerais plus que tout, c’est essayer de « vendre » un concert sur la Belgique. C’est une très belle initiative, on connait l’histoire qui t’a amenée à démarrer ce projet, mais comment as-tu mobilisé les ressources nécessaires pour concrétiser un tel projet ? Quelles ont été les défis à relever ? Quelles sont les contraintes majeures que tu as rencontrées quand tu as démarré l’initiative « Un Concert, une Ecole » ?
Quand j’ai démarré « Un Concert, une Ecole », enfin … l’histoire a déjà commencé il y a quelques années parce qu’on a fait deux concerts en France. Donc, avec les recettes de ces deux concerts, on a construit une école primaire dans le nord de la Côte d’Ivoire et un collège dans le nord du Mali. Et puis, bon, voilà … comme mon prochain album s’appelle « African Revolution » j’avais décidé qu’on ferait la même chose en Afrique pour pouvoir construire des écoles en Afrique.
C’est une manière d’obliger la jeunesse à aller à l’école ?
Oui ! Mais aussi une manière de leur dire que personne ne viendra changer l’Afrique à notre place. Il faut qu’on essaye de faire des choses ensemble, on a fait cette tournée mais malheureusement ça s’est mal passé. On attendait déjà des financements de sponsors mais malheureusement les sponsors n’ont pas réagi, sauf au Burkina. Il n’y a qu’au Burkina que les sponsors ont réagi. Il n’y a qu’au Burkina que les autorités ont vraiment réagi. Même la présidence de la République du Burkina nous a apporté un soutien. Le Ministère de la Jeunesse et des Sports nous a fait des faveurs au niveau de la location du Stade. Le Ministère de la Culture a mis un bus à notre disposition etcétéra … Donc, vraiment, au niveau du Burkina, ça s’est bien passé.
Et au niveau de la Guinée ?
On n’a pas eu forcément de soutien et au niveau de la Côte d’Ivoire pas du tout de soutien. En Guinée je peux dire qu’on était un peu mieux accueillis puisque le Ministre de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur s’est mis à notre disposition pour faire quelques démarches, qui a même vu la Présidence pour qu’on puisse payer notre séjour à l’hôtel. Donc on a eu ce soutien en Guinée mais en Côte d’Ivoire en tout cas – mon pays – on n’a pas eu de soutien du tout. Je pense que ce sont des actes qui ne devraient pas décourager parce que l’objectif, c’est de faire passer le message de l’importance de l’éducation dans un pays en voie de développement. C’est dire aux jeunes de prendre l’école au sérieux, dire aux parents de mettre leurs enfants à l’école et – si possible – dire aux enfants qu’ils aillent à l’école et qu’ils sachent que, quand ils vont grandir, ils récolteront le résultat du travail qu’ils auront fait à l’école. Moi je suis né en Afrique, j’ai grandi en Afrique, donc j’imagine que la majorité des jeunes, des enfants, sont en train de grandir dans les mêmes conditions que moi à l’époque.
Comment c’était à l’époque ?
A l’époque, moi, je pensais que j’allais à l’école pour les parents. Quand on me disait « Lève-toi ! », quand on venait me réveiller le matin, je restais cinq ou dix minutes avant de me lever et quelque fois je pensais que – je ne le disais pas mais … – je pensais que les parents me faisaient chier … (rires) ! Si, à l’époque, un leader d’opinions, ou en tout cas une grande personne, m’avait fait asseoir pour me parler de l’importance de l’école, je pense que ça allait changer beaucoup de choses, dans mon enfance en tout cas, par rapport à mes études. Voilà un peu la petite histoire de « Un Concert, une Ecole ». L’objectif, vraiment, c’est le message ! Je veux que les jeunes se posent la question « Pourquoi Tiken Jah, au lieu de construire une salle de spectacles, au lieu d’acheter des instruments de musique pour des jeunes, au lieu de continuer à produire des artistes … Pourquoi construit-il une école ? ». Et donc… j’ai espoir… et je souhaite en tout cas que la réponse qu’ils auront c’est simplement que « Peut-être que l’école doit être très très importante… ».
Combien d’écoles y a t-il au total ?
Il y a deux écoles déjà ! Avec la Mairie d’Annemasse on essaye de construire cette école de Nialé dans la région d’Orodara (au Burkina Faso, ndlr). Et puis ca va continuer, hein ! Moi j’ai décidé en tout cas qu’avec tous les concerts que je ferai en Afrique cette année les bénéfices iront directement à la construction d’une école. Au niveau de la Côte d’Ivoire j’ai rencontré le PNUD qui devait avoir une réunion il y a quelques jours et qui est prêt quand même à financer une école historique que je voulais réhabiliter là-bas, qui s’appelle l’école Biafra, une école qui fait partie des plus anciennes écoles de Côte d’Ivoire, une école par laquelle beaucoup de cadres de Côte d’Ivoire sont passés. Et quand j’ai visité cette école-là, je trouvais que c’était quand même grave que tous ces gens-là partent de cette école et qu’un jour elle sera comme-ça … on peut faire un petit geste là mais bon…
Pour toi ce n’est pas l’objectif principal ?
C’est juste le message. Je veux que les jeunes se rendent compte … Je sais que s’ils se rendent compte de l’importance de l’école dans leur vie future, je pense qu’ils peuvent prendre conscience. Moi je n’ai pas pris conscience. Je n’ai pas vu les choses comme ça sinon je n’aurais pas arrêté l’école très tôt. Même si les conditions étaient difficiles.
Aujourd’hui je suis en train d’essayer d’apprendre l’anglais alors que j’avais l’occasion de l’apprendre à l’époque. C’est juste un détail mais je pense que si j’avais eu quelqu’un pour me parler en face j’aurais pris conscience… puisque mes parents n’étaient pas forcément lettrés.
Par rapport à l’avenir du projet justement, on parle de prochains concerts en Afrique… est-ce qu’il y a déjà des contacts établis en Belgique et est-ce qu’on peut espérer voir « Un Concert, une Ecole » en Belgique ? Est-ce qu’on peut t’aider pour ce faire ?
TJF : En fait, l’objectif pour cette année – 2009 – c’est faire des concerts en Afrique. Le concert d’Annemasse était prévu depuis un moment mais sinon l’objectif c’est de faire des concerts en Afrique avec la jeunesse africaine pour construire des écoles en Afrique. Maintenant… il ne faut pas non plus déranger le programme de la vie professionnelle de Tiken Jah. Ca c’est le côté « humanitaire » de Tiken Jah qui n’est pas seul dans le bateau … Il y a les musiciens, il y a tout un staff qui nous accompagne, il y a un nouvel album,… C’est vrai que le staff contribue mais aujourd’hui les musiciens, tout le monde, jouera gratuitement, mais il ne faut pas non plus demander aux gens de le faire tout le temps. Donc, on verra … si jamais on fait un autre concert en Afrique qui se passe mal… on verra si on peut se rattraper en Belgique ou si on peut rattraper quelque-part mais cette aventure, elle va continuer si on a des sponsors qui nous accompagnent.
Quel est l’objectif aujourd’hui ?
Avec le nouveau staff avec lequel je continue le concept « Un Concert, une Ecole », c’est de tout faire pour avoir des sponsors et organiser des concerts gratuits. Comme-ça, les sponsors ont plus de monde s’ils ont besoin de plus de monde pour faire des publicités. Mais pas d’alcool, pas de cigarettes ! Moi je ne fais pas d’alcool, pas de cigarettes … Il y a des gars des entreprises qui font de l’alcool qui nous ont contactés. Moi j’ai dit « non » parce que tu ne vas pas dire aux gens « Tu vas aller à l’école mais arrêter-vous devant le bar et buvez… » Tu vois ! (rires). L’objectif, cette année, pour la suite du concept, c’est vraiment d’avoir des sponsors et de faire des concerts gratuits. Plus de monde pour les sponsors et plus de monde pour moi aussi qui ai envie de faire passer le message, voilà ! Plus de monde pour écouter le message et c’est ça l’objectif qu’on s’est fixés pour la suite du concept « Un Concert, une Ecole ». Sinon, après, je risque de ne pas pouvoir honorer mes engagements envers les pays, les villes, les villages africains où j’ai envie de construire des écoles.
Une question concrète par rapport aux écoles Tiken Jah, c’est que je me demande dans quelle mesure le cours d’histoire est plus ou moins adapté dans leur programme ? On connait ton intérêt et l’importance de l’histoire… – résumons à Sundjata Keita, par exemple – D’abord, je ne sais pas… peut-être que cette Histoire est maintenant intégrée dans le programme scolaire officiel de l’enseignement en Afrique de l’Ouest ? Si ce n’est pas le cas, est-ce que ce n’est pas quelque chose que tu peux encourager dans les écoles tu crées ?
Bien sûr, j’en parle dans mes interviews. Je fais des chansons pour prouver aux jeunes que notre histoire est là et ne doit pas être oubliée. Si on oublie c’est comme un arbre qui n’a pas de racines. Notre histoire c’est nos racines. Donc je continue à en parler dans mes chansons ! Ce qui s’est passé après la colonisation … quand les occidentaux partaient, ils nous ont donné le programme scolaire de leurs pays. Du coup, on connaît le Général de Gaulle, Louis XIV, … mais on ne connait pas Sundjata Keita, Samory Touré, … parce que ce n’était pas au programme en France et donc, effectivement, je pense que les gouvernements devraient vraiment tout faire pour introduire des programmes par rapport à l’histoire de tous ces gens-là qui se sont battus pour nous. Des gens comme Samory étaient de grands résistants ! Des gens comme Sundjata Keita ont bâti des empires qui s’étendaient sur une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. Des gens comme Fakoly ont posé des actes. Donc, je pense que leur histoire ne doit pas être oubliée.
Peux tu m’en dire plus ?
Leur histoire ne doit pas être oubliée au profit de l’histoire de différentes guerres que les occidentaux ont connues, où ils ont fait appel à nous un moment, etc. Ca doit être connu mais il faut absolument dans le programme scolaire des pays africains, que l’on parle de la civilisation africaine qui existait avant l’arrivée du premier explorateur, du premier missionnaire ou du premier colonisateur. Ca c’est important, et je pense que c’est ce qui va nous donner, aujourd’hui, la fierté. Parce que, dans de petits villages dans les pays africains, il y a des gens qui pensent encore que les blancs sont supérieurs. Comme quand tu vas dans un petit village et tu vois les enfants qui te courent après « Toubabou ! Toubabou ! » (rires) Tu vois ! Beaucoup de personnes pensent que, effectivement, le blanc est supérieur parce qu’ils ne connaissent pas leur histoire. Ils ne savent pas qu’il y a eu de grands hommes avant. Simplement nous, on n’avait pas d’armes. Nous, on était habitués à se battre au corps à corps ou avec des flèches et il y a des gens qui sont venus avec des pistolets et c’est comme ça qu’ils nous ont vaincus. Malgré cela, ils ont eu du mal à arrêter des gens comme Samory Touré ! Moi, mon devoir en tant qu’artiste, puisque je ne suis pas au pouvoir, c’est d’éveiller les consciences, c’est d’attirer l’attention des dirigeants et des populations sur des sujets comme ceux-là.
Quels conseils donnes-tu aux étudiants africains qui sont confrontés au chômage et à la mauvaise gouvernance une fois qu’ils ont leur diplôme ? Je m’explique : je pense à un ami avec qui j’entretiens une correspondance à Ouaga et que j’encourage depuis des années pour faire son diplôme de Droit. Maintenant, il a son diplôme de Droit, mais il ne demande qu’une chose, c’est de venir en Belgique, et je suis à cours d’arguments … est-ce que tu peux m’aider ?
TJF : (rires !) Je pense que l’avenir des étudiants africains dépend des étudiants eux-mêmes. Normalement, dans un pays, tous les mouvements de contestation commencent dans les universités. Et donc, on dira « ils se sont soulevés, ils ont fait des choses, il y en a qu’ils ont assassinés » et tout ça … mais bon… Dans les pays qu’on envie (en Occident, ndlr) aujourd’hui, je pense qu’il y a eu des mouvements et il y en a qui ont été assassinés et il y en a qui ont connu la prison … Je regardais hier un peu l’histoire de Fidel Castro au début comment il a fait sa révolution … donc je pense que l’avenir de l’Afrique, l’avenir des étudiants africains, l’avenir des paysans africains, l’avenir des populations africaines en général dépend des Africains. Personne ne viendra nous aider pour résoudre tous ces problèmes-là.
Un exemple concret ?
Quand on regarde l’histoire des autres pays occidentaux qu’on envie aujourd’hui … Le monsieur, il a envie de venir en Belgique, mais il faut qu’il sache que tout ce qui se passe de positif en Belgique aujourd’hui ce sont des Belges qui se sont battus pour ça il y a cinquante ans ou cent ans. La Belgique, s’il y a de grandes universités, ce n’est pas tombé du ciel ! Donc, il faut que les étudiants bougent en Afrique. Il y aura forcément des incidents, il y aura des morts, il y aura des choses, mais bon … on ne peut pas fléchir nos dirigeants comme nous on a envie de le faire. Ce n’est pas en les traitant comme des dieux, comme des hommes supérieurs !
Que faut-il faire alors ?
Il faut qu’on trouve des solutions pour leur prouver que nous aussi on a droit à la santé, nous aussi on a le droit à l’eau, nous aussi on a le droit à la bonne éducation etc…. et que ce ne sont pas eux seuls. Parce que dans tous les pays africains il n’est pas étonnant de voir le Ministre de l’Education nationale aller chercher ses enfants à l’école française à midi ou à l’école américaine. Alors que c’est lui-même le ministre de l’éducation ! Pourquoi ses enfants ne vont-ils pas dans les écoles africaines ? Parce que, simplement, il ne fait pas confiance au système qu’il a mis en place ! Et donc, ce n’est pas normal.
Ce n’est pas étonnant d’ailleurs ?
Oui ! C’est une réalité générale en Afrique – que tous les enfants des gouvernants, tous ceux qui sont bien placés, sont en Suisse, en France, au Canada ou aux Etats-Unis. Ils vont étudier et quand ils reviennent des études ils reviennent au pays et ils viennent occuper les postes que leurs parents ont occupés. Je pense donc que la solution pour notre ami c’est vraiment de se battre sur place. De se battre sur place et de changer toutes ces conditions. J’en parle dans mon prochain album d’ailleurs et je pense qu’on ne peut pas dire aux jeunes de venir en Occident. Il faut que les jeunes sachent qu’une autre Afrique est possible…
Cela passera par vous !
En effet, personne ne va venir changer ça à notre place. Quand tu regardes l’histoire de la France, il y a eu la Révolution française… Quelqu’un me disait « Oui, la Révolution française elle a été préparée pendant deux ou trois siècles … » Moi je dis « Oui, effectivement », mais nous aujourd’hui, avec les nouvelles technologies de communication, il y a tellement d’avantages qu’on a aujourd’hui pour faire une révolution … voilà, des trucs qu’on a aujourd’hui que les gens n’avaient pas à l’époque ! Je pense que – et Obama l’a dit au Ghana – « L’avenir de l’Afrique se trouve dans la main des Africains. ». D’ailleurs les gens étaient contents qu’Obama soit président mais il est président des Etats-Unis. Il n’est pas le président d’un pays africain ou de l’Afrique. Il a été élu pour changer les conditions de vie des américains. Maintenant, nous, on est contents parce que c’est un noir comme nous mais si aujourd’hui les populations africaines réagissent, rejettent les conditions de vie qu’on leur impose, alors les pays occidentaux ne feront que nous aider parce que, si on arrive à améliorer les conditions en Afrique, tout le monde y gagne !
Le problème c’est la gouvernance de cetains pays ?
Parce que je sais que l’immigration est un sujet très important aujourd’hui en occident parce que bon. On a aidé les anciens dirigeants africains à piller l’Afrique, mais on n’avait pas prévu que si, dans le futur, les jeunes n’ont pas de boulot ils viendront ici. Je pense que si les gens savaient ça ils auraient imposé dès les années soixante la bonne gouvernance aux pays africains, aux dirigeants africains. Mais ils ne l’ont pas fait. Ils sont restés amis avec des présidents qui ont mis ces pays-là à genoux.
Quels sont les conséquences aujourd’hui ?
c’est qu’on partage tous ce truc et les jeunes africains ne font que se comporter de la manière la plus naturelle finalement, puisque le premier homme venu sur terre est toujours allé vers des lieux où il espérait trouver de meilleures conditions de vie. Quand tu vois le singe … il bondit comme son ancêtre. Tu vois, l’oiseau … il s’envole comme son ancêtre. Donc, l’homme bougera toujours vers des lieux où il espère trouver de meilleures conditions de vie. C’est ainsi que tu vas trouver des gens de Annemasse qui travaillent quelque part dans le pays ou bien … à Genève … parce qu’ils ils y gagnent plus d’argent ! C’est donc un mouvement naturel que les africains suivent. Mais je pense que tous les dirigeants occidentaux qui ont soutenu les Mobutu Sese Seko, les Houphouët-Boigny, … en tout cas tous ces anciens chefs d’état qui ont, finalement, mis ces pays à genoux. Et bien je pense qu’ils n’avaient pas prévu que, si ça se passe mal …
Si tu as l’occasion de croiser Obama, demain, qu’est-ce que tu veux lui dire ? Qu’est-ce que tu veux lui demander ?
Je lui dirais simplement qu’il est une fierté. On est fiers qu’il se soit battu, qu’il ait écrit une histoire aussi passionnante avec sa vie. Tu vois, l’histoire de la vie d’Obama, avec le père qui part du Kenya pour étudier aux Etats-Unis… voilà une preuve d’ailleurs que toute politique contre l’immigration en tout cas est une politique inutile.
Il faut trouver d’autres solutions, ensemble, pour l’Afrique. Que ce soient des pays en voie de développement ou des pays développés il faut s’asseoir autour d’une table, discuter avec la société civile, discuter avec les gens qui n’ont forcément rien avoir avec le pouvoir et après on s’adressera aux hommes au pouvoir… Toute politique contre l’immigration est une politique inutile. Tu as vu la preuve : le père d’Obama qui part étudier aux Etats-Unis et aujourd’hui son fils est président des Etats-Unis. C’est la preuve que le mouvement naturel de l’homme ne peut pas être empêché. Si je vois Obama aujourd’hui je lui dirais que voilà, il est une fierté et qu’on aimerait tous entrer dans l’histoire comme il est entré dans l’histoire parce qu’aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, qu’il soit un bon président ou un mauvais président, il est entré dans l’histoire par ce passage à la présidence des Etats-Unis. Mais je ne lui demanderai pas … je ne lui demanderai rien.
Pourquoi ?
Parce que simplement tout dépend de nous. Je dis : Ce ne sont pas les chinois qui sont venus changer la France à la place des français. Il y a eu une première révolution. En Mai 68 je peux dire qu’il y a eu une deuxième révolution qui a changé beaucoup de choses. Il y a beaucoup de choses encore à faire pour que les choses changent encore mais … les gens ont envie de venir ici à cause de certains acquis. Ils ont du boulot, ils ont plus de salaire qu’en Afrique, quand ils sont malades ils sont soignés, … Tous ces acquis du peuple français, c’est la récolte des graines plantées par des Français d’avant. Donc, nous, on peut si on veut … on a tout ! Partout en Afrique, tu te promènes avec des graines, tu as un sac de graines. Tu as un grain de riz qui tombe ou bien un grain de maïs qui tombe… et quand tu reviens quelques temps après, ça a poussé, partout ! On a le soleil, on a la pluie, … franchement, on a tout quoi ! Il suffit simplement qu’on se rende compte que, si on croise les bras, personne ne viendra nous aider parce que dans tous les pays occidentaux les gens se battent pour que le quotidien de leurs enfants soit assuré. C’est ainsi que la France fait sa politique en fonction des intérêts de la France.
Le Général de Gaulle a dit « La France n’a pas d’amis, la France a des intérêts. » Ce message nous a été passé depuis les années soixante. Il faut donc que nous aussi on arrête d’avoir des amis et qu’on essaye d’avoir des intérêts. Et après on se retrouve autour d’une table et on boit un verre ensemble ! .
Question belge : Tu honores la mémoire de Patrice Lumumba dans ton livre « L’Afrique ne pleure plus, elle parle » et dans « Foly » aussi paru sur « L’Africain ». Qu’est-ce qu’il symbolise pour toi et en quoi sa mémoire est-elle importante ?
Patrice Lumumba, un grand homme. Un assassinat en tout cas qui a été très flagrant. Tout le monde sait que soit c’est la CIA, soit c’est la Belgique parce que la Belgique était propriétaire du Congo à travers le Roi. Lorsqu’on a dit que le Congo était indépendant, le pays a voulu prendre une indépendance totale puisque, quand on lui a donné, on lui a dit « Vous avez l’indépendance.» Cela voulait dire : « Vous êtes libres, faites ce que vous voulez. Vous êtes considérés aujourd’hui comme un pays, comme la Belgique est un pays. Vous êtes libres !»
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Et Lumumba a cru aux gens qui ont donné cette indépendance ?
Il a voulu donner au Congo un destin différent de celui que l’on voit aujourd’hui. Tu vois, il a voulu prendre un autre chemin, mais les gens n’ont pas accepté. Ils ont dit « Bon, voilà, on vous a donné l’indépendance la journée mais bon … la nuit ce n’est pas vrai quoi … » tu vois. « Il faut que, de tout ce qu’on gagnait sous la colonisation on continue à gagner la même chose, sinon on n’est pas d’accord … » Et c’est comme ça qu’il a été assassiné. Je pense qu’au même titre que des Samory Touré, au même titre que les gens que je citais tout à l’heure, Patrice Lumumba mérite de ne pas être oublié. Il mérite que l’on parle de son combat, qu’on parle de ce qu’il voulait faire.
Quel bilan en tire tu ?
Quand tu vois aujourd’hui le résultat du travail de tous ceux qui ont gouverné après sa mort, c’est clair. C’est tellement clair que l’avenir qu’il voulait pour les congolais était meilleur que maintenant. Le Congo est un scandale géologique. C’est un pays qui est grand, qui a tout ! Il y a des forêts, il y a tout ce qui peut améliorer les conditions de vie des populations se trouvant au Congo. Maintenant tu arrives au Congo… les congolais sont une des populations les plus malheureuses sur le continent africain, alors qu’ils ont tout !
Patrice Lumumba, c’était un grand pour toi !
C’est une personne qui a donné sa vie parce que, au moment où il se battait pour réclamer cette vraie indépendance, il savait que c’était dangereux. Il savait que … moi je sais que… tu vois … Moi je ne suis pas dans la même position de lutte que lui aujourd’hui. On n’a pas les mêmes armes aujourd’hui, mais je sais que c’est dangereux. Je sais que je peux chanter « Oui je t’aime » et des trucs comme ça et puis avoir des disques d’or, tu vois, des trucs comme ça … (rires) Mais je sais que c’est dangereux et je sais que ces gens-là, sur le terrain politique, ils avaient un courage de fous. Surnaturel, je dirais.
Propos recueillis par Axel Derriks / Photos © Axel Derriks (www.axelderriks.be)
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