rap-rnb
Khaled Nouvel album Liberté
Khaled est de retour avec un nouvel album intitulé Liberté
Entre racines et devenir, Khaled publie un nouvel album produit par Martin Meissonnier, dans lequel il revient aux racines du raï et se souvient des rythmes musicaux de son adolescence à Oran.
Dans ce nouvel album, où il multiplie les mawwal-s auparavant délaissés à cause de la standardisation imposée aux normes occidentales, l’auteur du planétaire Didi pioche dans ses souvenirs d’enfance et ouvre le livre de son adolescence, peuplé de ces artistes légendaires qui rythmaient la vie des quartiers populaires de la capitale Oran, pour mieux retrouver les accents du terroir.
Jusque-là, il n’avait fait que quelques clins d’œil aux joyaux du patrimoine en reprenant Bakhta, Wahrane Wahrane ou H’mama. Aujourd’hui, il consacre un opus entier à un genre qui n’était pas encore encombré par des nappes de synthés envahissantes et des boîtes à rythme sans âme. Ici, le ‘oud (luth), instrument-roi de l’orchestre arabe, le violon à l’orientale, la flûte-ney chère aux soufis, le gumbri en vigueur chez les Gnawas, le guellal qui est une percussion utilisée dans le raï traditionnel des Cheikhs et des Cheikhates ou le hajhouj, issu des montagnes berbères de l’Atlas marocain, fraternisent idéalement avec des guitares, dont l’une est tenue par Martin Meissonnier, réalisateur du disque, des claviers fort discrets, une basse, un saxo, un accordéon ou une trompette.
Entre demi-ton et quart de note, les chansons orchestrées, façon traditionnel, et enrichies par des cordes égyptiennes, dirigées par l’éminent Docteur Ayman Amboli et captées directement au Caire, rappellent que Khaled est avant tout, comme l’avait joliment défini Don Was, un chanteur de l’émotion. Il la transmet notamment à travers Bouya Kirani, Zabana, en hommage au premier condamné à mort exécuté pendant la révolution algérienne ou le bouleversant Papa, à la mémoire de son regretté père. Les amoureux du raï an 1980 de ses débuts, avec accordéon, prendront plaisir à réécouter en version quasi-unplugged le tonitruant Liberté ou le coquin Raykoum (il évoque une jeune fille pressée de se marier pour mieux divorcer pour vivre enfin tous ses fantasmes). Enfin, Khaled n’oublie pas le voisin marocain et son art de la transe, transcendé là par le gumbri et le hajhouj d’Aziz Sahmaoui.
Que serait tout cela s’il n’y avait pas cette voix majestueuse, à teneur élevée en modulations ? Elle est bel et bien présente et reste le plus beau des instruments. Elle est accrocheuse et entêtante, elle vrille l’espace, trace des arabesques imaginaires. Son timbre met dans chaque mot toute la douleur d’un amour contrarié aui est un des thèmes récurrents du raï, tout le poids de l’existence.
Tout cela nous ramène à une époque bénie où lorsque Khaled pousse la voix sur une scène, les femmes, en nage, lisaient dans son regard gourmand la promesse de toutes les libertés sexuelles qu’elles s’interdisent avec leur propre compagnon, tandis que les hommes buvaient le flot de ses mots, aussi verts que ceux de Bukowski et Miller réunis. On savait depuis longtemps que si Khaled a autant d’inventivité et brille dans les improvisations et l’interprétation, c’est probablement parce que selon le mot de Richard Dehmel, il « vit et crée en rut« . « Liberté » est un album, classique sans austérité et moderne sans concessions à tout formatage.