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K’Naan : La renaissance du hip-hop
K'Naan ou la renaissance du hip-hop
La seul évocation de la Somalie suffit à faire surgir en nous des images de destruction totale, de chefs de clans sans merci et de terreur aveugle. Un endroit où personne n’est à l’abri des atrocités de la guerre et où l’idée d’enfance n’existe qu’au passé, remplacée aujourd’hui par des enfants de huit ans maniant des AK-47 comme des jouets. Quand le magazine Forbes a récemment publié son classement des destinations les plus dangereuses du monde, la Somalie arrivait en tête de liste, devant l’Irak et l’Afghanistan. La Somalie c’est aussi la nation des poètes, où un poème peut à la fois inspirer la paix et la guerre. Où tous les week-ends, quelque que soit le temps, un concert ou une pièce de théâtre se joue dans une salle locale.
Ce sont ces deux Somalies qui ont forgé le musicien et MC K’NAAN Warsame, qui sortira son deuxième album Troubadour en 2009. Petit-fils de Haji Mohamed, l’un des plus grands poètes somaliens, et neveu de la chanteuse à succès Magool, K’Naan a crée son propre courant musical empruntant au reggae, au funk, à la pop, à la soul et surtout au hip hop.
Enregistré en grande partie à Kingston, Jamaïque, où K’Naan s’est vu ouvrir par ses amis Stephen et Damian Marley les portes du home studio personnel de Bob Marley ainsi que celles du légendaire Tuff Gong Studio, ce Troubadour est un album unique. K’Naan réussit à mélanger des samples et des instruments enregistrés en live pour un son à la fois roots dans la pure tradition africaine et retrouver aussi l’esprit du hip hop classique.
« Être médiocre ne m’intéresse pas« , déclare le rappeur. « S’il n’y avait pas de véritable besoin dans ce que je fais, je ne le ferai pas. Si je n’ai rien à ajouter à la conversation, je ne parle pas« . Heureusement pour nous, il a beaucoup de choses à dire. Utilisant tous les instruments, d’une guitare folk à l’orgue Hammond B3 (celui utilisé pour l’enregistrement de l’album Exodus de Bob Marley), le MC trouve un équilibre entre les histoires qu’on lui racontait dans son enfance et les mots précis et malins piochés dans le livre de Big Daddy Kane. C’est ce mariage des sons et des mots qui lui valut en 2006 un Juno Award pour le meilleur album de rap de l’année avec son premier effort The Dusty Foot Philosopher, ainsi qu’un prix BBC 3 et une nomination pour le Polaris Music Price, équivalent Canadien des Victoires de la Musique.
Dans un pays dont le nom est synonyme de conflit, il est facile d’étiqueter K’Naan de rappeur engagé. Facile et trompeur. Les textes de K’Naan sont en totale opposition avec ceux des rappeurs qui utilisent la musique comme un pupitre pour promouvoir leurs propres idées. Il faut voir les mots de K’Naan dans les pages reportage plutôt que dans l’éditorial. « Mon job est d’écrire ce que je vois / Je suis un sténographe de l’image« , se décrit-il dans I Come Prepared. Bien sûr, K’Naan n’est pas sans opinions, loin s’en faut, mais dans l’album Troubadour, le songwriting passe toujours avant les speech.
En grandissant, son accès à la musique occidentale se limitait à Bob Marley et Tracy Chapman. Un jour, à peine âgé de 10 ans, K’Naan roulait en voiture avec un cousin lorsqu’il fut fasciné par ce qui sortait des vieilles enceintes de l’autoradio. « J’avais déjà entendu du rap, mais je n’avais aucune idée de ce que c’était à l’époque« , se souvient-il. « J’ai demandé à mon père qui était parti à New York pour trouver de l’argent pour sa famille, et il m’a dit : ‘C’est ça le hip hop’« .
Quand le Paid In Full d’Eric B. et Rakim arriva de New York ce mois-là, les titres transportèrent le jeune K’Naan dans un monde nouveau. Un monde où le rythme et la chaleur de la langue dépassaient la compréhension des paroles. « J’ai retenu ‘Eric B. Is President’ et je pouvais la chanter comme si j’étais moi-même Rakim », confie K’Naan. « Je me mettais devant la maison et tous les enfants du voisinage venaient m’écouter. Un garçon prenait un bâton pour battre le rythme. Personne, moi y compris, ne connaissait un mot de ce qu’on chantait. Je me basais sur le rythme, le feeling et l’énergie qui se dégageait du morceau. Ca m’a beaucoup aidé d’avoir appréhender la phonétique et la texture des mots quand j’ai fini par apprendre l’anglais ».
Ce sont des albums comme Paid In Full qui ont permis un répit temporaire, loin des balles et du carnage qui avait toujours entouré K’Naan jusque là. A 14 ans, le jeune rappeur et ses trois meilleurs amis se sont fait attaquer par des chefs de clans. Une seule des innombrables images qui hantent le jeune homme. Après les avoir chassés à travers les rues de Mogadiscio et les avoir pris au piège dans une ruelle, ils se sont mis à tirer. K’Naan s’en sortit indemne, mais ses trois amis furent abattus.
Sur Troubadour, des évènements comme celui-ci n’ont pas besoin d’être glorifiés ou exagérés au nom de l’art. « Je pense qu’il y a aussi des gens qui se battent pour survivre dans des quartiers au Canada et aux Etats-Unis, mais c’est tellement plus dur et tellement plus violent en Somalie », analyse K’Naan. « Si tu veux la jouer ‘Je viens du ghetto, je suis un dur’, il faut savoir aussi qu’il existe une alternative. Je parle ce même langage du hip hop, qui parle de la vie dans les quartiers durs. Mais là d’où je viens, ce n’est pas un quartier dur, c’est le quartier le plus dur ».
Confiante qu’il ne s’agissait qu’une question de temps avant que sa famille ne connaisse le même sort que les amis de son fils, la mère de K’Naan faisait tous les jours la route jusqu’à l’ambassade des Etats-Unis, en évitant les balles perdues, dans l’espoir d’obtenir des visas pour elle et ses proches. Malgré les refus quotidiens, elle s’obstina et le dernier jour de la présence de l’ambassade sur le sol Somalien, elle réussit à obtenir les précieux visas pour partir en Amérique. « Il n’y a pas de mot pour décrire ça » se souvient K’Naan, « c’est le sentiment le plus fort, le plus libérateur. Il y avait un monde plein d’espoir qui s’ouvrait enfin à nous. C’est à ce moment que j’ai pris conscience de la valeur de la vie, quelque chose qui ne m’avait même pas effleuré avant ». Avec quasiment rien dans les poches et aucune connaissance de l’anglais, K’Naan et sa famille ont pris le dernier vol de Mogadiscio vers New York avant d’aller s’installer ensuite à Toronto.
Troubadour représente la somme de toutes ces expériences et bien plus encore. Ces deux dernières années passées à sillonner le monde pour délivrer son message de la façon la plus directe à son public, à la recherche de tout ce qui va de Bob Dylan à Fela Kuti en passant par Mos Def, font de Troubadour l’œuvre de quelqu’un qui a beaucoup de choses à partager, et qui en aura encore davantage dans les années à venir.
Pour tout ceux qui pensaient que le hip hop n’avait plus rien à dire, l’album « Troubadour » prouve que tout dépend de qui tient le micro.