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Chico César de retour avec l’album » Vestido de Amor »
L’artiste brésilien nous présente son premier album conçu en dehors du Brésil.
Fluide, inventif et profus, « Vestido de Amor« , le dixieme album studio du Bresilien Chico César, disponible ici, creuse le sujet du panafricanisme, cette fois du point de vue de la diaspora.
Le chanteur, auteur-compositeur né à Catole do Rocha, dans la zone désertique de l’Etat du Paraiba, a invité deux grandes personnalités de la musique africaine a enrichir « Vestido de Amor » : Salif Keita et Ray Lema.
Bien plus que des featurings, ces collaborations scellent un changement de paradigme. Le peuple noir est large, un et indivisible. Longtemps, l’Amérique tropicale a cherché a renouer avec ses racines africaines, trop souvent diminuées si ce n’est ignorées. En 1978, Gilberto Gil, Nordestin comme Chico César, publiait l’album « Refavela« , après avoir assiste au Festival des arts et cultures noires de Lagos (Festac).
En 1996, Chico César composait Mama Africa, ode a la femme noire, mère célibataire aux mains caleuses et au grand coeur. En 2022, dans ce village global qui est le notre et ou la question de l’appropriation culturelle se pose avec acuité, il parait évident que l’Afrique a alimente tous les courants culturels, mais qu’a son tour elle s’en est nourrie. « Le panafricanisme aujourd’hui s’est élargi, et, ou qu’elle soit, la diaspora doit être fière de ce qu’elle est, elle doit se donner le droit de se tenir debout en toute occasion ».
Par exemple, s’adresser aux autorités locales sans trembler, ni sentir qu’avoir traverse des océans serait une faute. Chico César livre en conséquence un album aux couleurs multiples, du forro nordestin au reggae jamaicain, de la rumba zairoise aux langueurs du calypso, du coco des pêcheurs côtiers aux électricités du rock urbain. « Vestido de amor » n’en demeure pas moins totalement bresilien. Pour tracer la philosophie sous-jacente a ces courants transatlantiques, Chico César s’en réfère au grand compositeur brésilien Pixinguinha (1897-1973).
En 1922, il y a cent ans donc, le flutiste arrive a Paris, avec son orchestre, Os Oito Batutas. En 1916, ce metis carioca, noir selon les critères brésiliens, a compose l’un des chrorinhos les plus célèbres du pays, Carinhoso. « Jusqu’à lors la culture brésilienne était incarnée par des Blancs : le poète Mario de Andrade, le compositeur Heitor Villa-Lobos, la peintre Tarsila de Amaral. A Paris, l’afro-bresilien Pixinguinha crée l’évènement, joue six mois durant au Sheherazade, rencontre des artistes du monde entier, des Américains, des Caribéens, des Orientaux, des Africains. Ensemble, ils inventent une musique hybride. En rentrant au Brésil, Pixinguinha rapporte le saxophone et la batterie, fait ainsi évoluer le choro, déjà issu d’un mélange de polka europeenne et de lundu africain. La diaspora se contamine et ne cesse de muer ».
Chico César s’offre un album international
Premier album de Chico César conçu en dehors du Brésil, « Vestido de Amor » revient sur cet étalonnage contemporain. Enregistré aux Studios Ferber à Paris, il dresse un constat franc et joueur d’un monde métis où danser est toujours possible, surtout quand, au travers de la joie, passent des messages, de paix, de fraternité, mais aussi de lutte. « Olho no olho, les yeux dans les yeux, sans rancœur ni colère », précise Chico, fils de cette terre nordestine où tout se joue sans détour, et qui a mixé les us et coutumes des indigènes, des Portugais, des Hollandais, des Africains, des Juifs, des Arabes, qui au fil du temps ont bâti son histoire si singulière.
Rebouliço, composé, pendant la pandémie, remet ainsi au centre du jeu l’amour et la joie des Nordéstins, qui, sans être brisés par des conditions de vie parfois très mènent la danse des « festas juninas », les fêtes de la Saint Jean et de la Saint Pierre. Le plus grand risque encouru par le Brésil ces dernières années a été précisément l’extinction de la joie, cette alégria propre au génie brésilien. Les méfaits du Covid-19 a certes failli la briser, mais le pays a subi d’autres outrages : ceux infligés par le gouvernement de Jair Bolsonaro – voici donc le pays face à la « pandemia » et au « pandemonio », (demonio signifie démon). « Bolsonaro est soutenu par environ 20% de la population, qui pense à l’extrême droite de l’extrême droite, qui, en s’appuyant sur une frange radicale des Evangéliques, sur des milices et des trafiquants pour imposer une vision médiévale de la société et des femmes. Le problème, commente Chico Cesar, ce n’était pas seulement Hitler, c’était les Nazis ».
Chico César est une fleur de cactus, baroque, qui a su traduire en rythmes, en mélodies,en harmonies, les paradoxes, le messianisme, les amours ardentes ou naïves, de ce sertao pierreux, parsemé de caatinga, les buissons ras qui retiennent l’humidité dans un océan de sécheresse. « Le défi est de pouvoir embrasser le fer qui nous transperce et nous blesse. S’octroyer le luxe du pardon, évitant ainsi les fractures irrémédiables », confie l’artiste.
En près de trente ans de carrière, Chico César est devenu une figure centrale de la MPB (musique populaire brésilienne), par son art, par ses prises de positions politiques. En 1999, il avait composé A Força Que Nunca Seca (La force qui ne s’assèche jamais) pour son amie et complice bahianaise Maria Bethania. A l’été 2021, le frère de cette dernière, Caetano Veloso, dédie à Chico César son premier concert français post pandémie à la Philharmonie de Paris. La force de la fraternité, épurée du fiel de la rancœur et de la colère, aura eu raison des adversités. Produit par Jean Lamoot (Bashung, Salif Keita, Mano Negra), grand connaisseur de la musique africaine, Vestido de Amor (habillé d’amour) a intégré aux musiciens habituels (Zé Luis Nascimento aux percussions, Natalino Neto à la basse, Jean-Baptiste Soulard aux guitares et claviers) la kora mandingue de Sekou Kouyaté, la basse percussive du Camerounais Etienne M’Bappé, la voix d’Albin de la Simone, du violoncelle, un quatuor vocal … Et si l’amour est un acte révolutionnaire, la musique en fusion de Chico & Co est un trait de grâce.